tag:blogger.com,1999:blog-36985489557638583302024-03-04T20:45:59.235-08:00TaupinièresCahiers sur les galeries souterraines de l'histoire vers le communismeUne taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.comBlogger12125tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-70618112518921023712012-08-15T05:15:00.002-07:002012-08-15T09:24:38.414-07:00Les révolutions contre les prophètes de L. JanoverPostface à la nouvelle traduction de <i>La révolution</i> de Gustav
Landauer publiée en 2006, ce texte de Louis Janover nous est apparu
particulièrement intéressant pour le dévoilement d'une lucidité
impitoyable sur notre époque actuelle.<a name='more'></a><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://europeanastatic.eu/api/image?type=IMAGE&uri=http%3A%2F%2Fwww.museen-sh.de%2Feingabe%2Fbilder%2Fdata%2Fmitte%2F1000977%2Fklbo100.jpg&size=FULL_DOC" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://europeanastatic.eu/api/image?type=IMAGE&uri=http%3A%2F%2Fwww.museen-sh.de%2Feingabe%2Fbilder%2Fdata%2Fmitte%2F1000977%2Fklbo100.jpg&size=FULL_DOC" width="256" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
A travers l'analyse critique de la pensée de l'anarchiste allemand, plutôt méconnu dans l'aire francophone, Janover circonscrit cet ''air du temps'' sur lequel aussi bien les bobos deleuziens désirants, les fascistoïdes soraliens bavants - bref toutes ces variantes de communautarisme romantique pseudo-critique -, que le social-libéralisme existentiel prospèrent. Régression intellectuelle que Janover juge en symptôme d'une période thermidorienne*. Surtout sa lecture de Marx, qu'il déploie en ''négatif'' au fur et à mesure de sa critique, nous semble digne d'être partagée. Ainsi, Janover nous offre les rudiments d'une arme critique du 21ème siècle, pour la révolution communiste faite <i>consciemment</i> par et pour le prolétariat, contre l'obscurantisme des prophètes.</div>
<br />
*"La base [de Thermidor], elle, reste
invariablement la même : une critique du capitalisme de marché qui épargne le capital tel qu’en lui-même", Janover in 'Thermidoriens, encore un effort...', extrait sur <a href="http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=1237" target="_blank">collectif-smolny.org</a><br />
<br />
<a href="http://www.fichier-pdf.fr/2012/08/15/janover-critique-de-landauer/" target="_blank">Version pdf à télécharger. </a><br />
<br />
Bonne lecture... <br />
<br />
<br />
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.53cm;">
<h2>
<span style="font-size: large;"><b>LA RÉVOLUTION CONTRE LES PROPHÈTES</b></span></h2>
</div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.53cm;">
<span style="font-size: small;">Louis Janover (2006)</span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.53cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.04cm;">
<span style="font-size: small;">ENTRE UTOPIE ET TOPIE, QUELLE
RÉVOLUTION ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-right: 0.13cm; margin-top: 0.42cm; text-indent: 0.51cm;">
<span style="font-size: small;">C'est fin 1906, début 1907, que
Gustav Landauer, à la demande de Martin Buber, rédige <i>Die
Revolution, </i>publiée par son ami dès 1907 dans une de ses
collections<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote1sym" name="sdendnote1anc"><sup>i</sup></a>.
Eugene Lunn, biographe attentif de ce « prophète de la communauté
», parle de ce texte comme de « son plus important travail
historique », un « prolongement des idées de <i>Skepsis und Mystik
», </i>Scepticisme et Mystique, si bien que l'influence de
Kropotkine et de Constantin Brunner est présente dans cette œuvre à
deux titres<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote2sym" name="sdendnote2anc"><sup>ii</sup></a>.
Au théoricien anarchiste, auteur d'une histoire de <i>La Grande
Révolution </i>qui fit date, et qu'il traduisit en allemand,
Landauer a emprunté notamment une vision positive, celle du pouvoir
historique de la coopération volontaire dans la vie sociale de
l'Europe. L'esprit du Moyen Age, qui réside dans la coexistence
d'une multiplicité de structures sociales indépendantes, s'oppose
au principe du centralisme d'État moderne.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">En revanche, la face critique de
cette réflexion nous ramène à Constantin Brunner, penseur nourri
de Spinoza, qui avait fait de la « superstition » la ligne de
clivage entre les hommes de l'esprit et les autres, clef de son
interprétation de l'histoire. Brunner avait repris l'idée ordinaire
du XVIIIème siècle selon laquelle la Renaissance, l'humanisme et la
Réforme représentaient une renaissance de la vie scientifique, et
le Moyen Age une ère d'obscurantisme et de superstition<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote3sym" name="sdendnote3anc"><sup>iii</sup></a>.
C'est l'image inversée de cette conception qui s'inscrit en
filigrane dans <span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><i>Die
Revolution</i></span><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><i> </i></span>où
le monde médiéval apparaît comme un des sommets de l'unité de
l'esprit, une « société de sociétés » riche d'une vie
spirituelle inégalée, au contraire de l'époque de rétrécissement
et de désagrégation qui commence vers l'an 1500. Avec cette fresque
resurgit en effet toute la grandeur et l'exceptionnelle élévation
d'une époque de fusion, dans laquelle les deux principes fondateurs
d'une civilisation ne sont pas encore dissociés et s'épanouissent
dans l'art.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On comprend comment s'articulent
dans la pensée de Landauer l'esthétique et l'éthique,
l'organisation sociale et l'art, qui dans la culture médiévale
auraient coïncidé avec la vie du peuple. A l'opposé, dans les
périodes de dissolution et de transition, les artistes ne sont plus
les représentants de leur temps, immergés dans la pensée du
peuple, mais le produit de natures individuelles géniales et
solitaires : tournés vers l'avenir ou comme « vers un peuple secret
encore absent ». Toute notre époque est marquée, selon Landauer,
par cette scission — caractéristique des « temps de
l'individualisme au double sens du mot : grandes individualités et
masses atomisées et abandonnées ». La spécialisation mutilante a
fait son œuvre, et bien que pour Landauer elle procède avant tout
d'une absence, d'un manque de l'esprit, non de la division du travail
en elle-même, il voit dans le socialisme le « retour au labeur
naturel » fondé sur l'équilibre harmonieux des facultés
intellectuelles et physiques.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.44cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La conception saint-simonienne
des époques critiques et des époques organiques, et des hommes
généraux, a d'évidence inspiré à Gustav Landauer l'idée de
l'alternance cyclique utopie et topie. Toutefois, ces notions
déplacent le sens de cette division, de sorte qu'elles ne font plus
un principe historique cohérent, mais un principe spirituel qui perd
toute densité matérielle et critique. Dès lors, sur cette échelle
de valeurs, on peut déporter le curseur au gré des dates, «
arbitrairement fixées », comme nous le dit Landauer lui-même. «
Époques communautaires » de civilisation et époques individuelles
de séparation se succèdent, sans que rien n'articule une période
sur une autre, puisque rien de ce qui est essentiel ne se transmet
entre elles. Il en est de même de « la révolution » : tantôt
elle représente l'immense période de déstructuration qui succède
à la période organique du Moyen Age, période de bouleversement
dans laquelle nous sommes encore et toujours plongés, et tantôt les
courtes flambées de violence au cours desquelles tel régime de
domination est remis en cause, sans qu'on sache toutefois quelle
est la structure spécifique du pouvoir contre lequel « le peuple »
se soulève.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Le mouvement de pendule entre
l'utopie et la topie rythme la vie des civilisations. L'utopie est le
temps de création et d'anticipation qui révèle l'unité cachée
entre les différents éléments en formation, et les porte jusqu'au
moment où se crée une nouvelle unité. Dans quelles conditions
économiques et sociales ? Questions inopportunes dans un tel
raccourci. Même quand il parle des rapports économiques et
sociaux, de la vie réelle et de tous les besoins des hommes,
Landauer ne quitte pas le cercle magique de l'abstraction, et jamais
l'ombre d'une réalité historique tangible ne vient obscurcir ce
flamboiement mystique. Ainsi définit-il la révolution comme «
un esprit unificateur qui crée de nouvelles formes de vie sociale et
les dispose pêle-mêle entre elles », <i>ce </i>qui s'applique
évidemment à toutes les époques. Si bien que ce qu'il désigne par
le « nom spécifique de révolution » constitue la négation
du principe de spécification historique qui est le point névralgique
de la conception matérialiste et critique du monde. Celle-ci
différencie et articule les conditions sociales, politiques et
culturelles selon les époques données et le rapport des classes
entre elles ; elle ne décompose pas l'histoire dans ce bain de
lumière et de passions qui nous laisse quelques photographies
fulgurantes du passé, mais ne nous éclaire en rien sur notre
présent.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.03cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Sur tous les sujets de son
temps, la guerre, le colonialisme, l'oppression sous ses divers
déguisements, Landauer n'a jamais dévié de cette ligne : une
opposition inflexible aux différentes manières de se réconcilier
avec les multiples travestissements de la servitude. Mais dès qu'il
se détourne de cet horizon pour nous laisser entrevoir ce que nous
réserve l'avenir, et ce que nous tenons en réserve pour les temps
futurs, nous entrons dans un monde où l'on a du mal à faire le
départ entre le mythe, le merveilleux et l'histoire. Pour y
parvenir, il nous faudrait quitter les régions éthérées où
Landauer respire, avec Novalis, le parfum de la fleur mystique en
rêvant au Bleu de l'Europe et de la Chrétienté et en écoutant le
balancier de la pendule égrener l'écoulement d'un temps, l'énigme
de l'heure qui n'appartient pas à notre monde.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">L'utopie, selon Landauer, est
cette combinaison d'efforts et de tendances de la volonté
individuelle qui, dans les moments de crise, cristallise enthousiasme
et ivresse, rassemble tous ces éléments critiques en un tout et les
organise en une nouvelle forme de vie sociale. Naît alors une «
topie » d'où seraient bannis les défauts et les injustices de la
période précédente. Mais cette topie suscite, par réaction, une
utopie nouvelle, qui entraînera à son tour une pétrification «
topique ». « L'utopie ne devient alors jamais réalité, et la
révolution n'est que l'époque qui permet le passage d'une topie à
l'autre, autrement dit : la limite entre deux topies. » On songe à
la trinité thèse-antithèse-synthèse, à ceci près que
l'instrument de médiation n'est autre ici que « la révolution »,
dont Landauer redéfinit là encore la fonction pour l'arracher à
l'histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">« Nous appelons révolution le
laps de temps pendant lequel l'ancienne topie n'est plus établie sur
une base solide alors que la nouvelle ne l'est pas encore. La
révolution est donc la voie qui mène d'une copie à l'autre, et
qui, à travers le chaos et l'émeute, l'individualisme
(héroïsme et bestialité, solitude de la grandeur et abandon
misérable de la masse atomisée), d'une stabilité relative à une
autre stabilité relative. » Mais qui et quoi occupent ces espaces ?
Malgré la densité lyrique du langage de Landauer, ou à cause
d'elle, on est un peu déconcerté par ce kaléidoscope intellectuel
qui ne s'arrête qu'à des événements de pure intensité, survole
les révoltes paysannes et, après avoir écarté toute idée d'un
déterminisme historique à l’œuvre dans telle séquence
temporelle particulière, établit des liens de causalité entre
utopies et topies par-dessus les siècles. De même, il dissout tout
repère fixe, toute possibilité de trouver un fil conducteur,
puisque « la révolution n'est ni un laps de temps ni une limite,
mais un principe qui à travers de longues périodes (les topies) ne
cesse jamais de progresser ». A quel endroit s'arrêter, sinon à
celui que lui-même nous indique : <span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><i>Hic
Rhodus, hic salta </i></span><i>!</i><i>
</i>Mais le navire de la révolution n'arrive jamais à bon port et,
pis encore, il n'y a ni port ni navire, seulement des épaves sur une
mer démontée.</span></div>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.03cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.49cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.49cm;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-weight: normal;">LE
CERCLE DES RÉVOLUTIONS DISPARUES</span></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.51cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">« Telle est la totalité au
sein de laquelle nous sommes encore plongés, ce passage, cet état
de perte et de quête : cette révolution. » Difficile de définir
une telle absence. Le monde de la vie correspond-il vraiment à cette
fantasmagorie que déploie devant nous Landauer ? Il a élevé une
cathédrale de lumière, bruissante de rumeurs magiques, mais on ne
voit ni les fondements, ni les matériaux, ni surtout les
constructeurs mobilisés pour mener à bien ce chef-d’œuvre. Les «
maîtres », l'« esprit », la « chrétienté » et, pour finir, «
la révolution », autant d'hypostases qui rendent compte de tout et
n'expliquent rien. Pas question de se placer, ainsi que le fit Marx,
sur le terrain de l'histoire réelle, de « décrire cette société
dans son action en tant qu'État, aussi bien que d'expliquer par elle
l'ensemble des diverses productions théoriques et formes de
conscience » et d'exposer « le phénomène dans sa totalité et
aussi l'interaction de ses divers aspects ». Gustav Landauer se
tient, semble-t-il, sur le terrain opposé. Il préfère «
rechercher une catégorie dans chaque période, comme le fait la
conception idéaliste de l'histoire<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote4sym" name="sdendnote4anc"><sup>iv</sup></a>».
Mais il y met une telle puissance de suggestion, une telle force de
persuasion verbale que chaque catégorie s'anime devant nous et
habite cette histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.45cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On peut s'interroger sur la
pertinence de ses vastes recompositions historiques, sur la place
ambiguë qu'y occupent les grandes figures d'une culture qui jette
ses racines dans un terreau irrigué par tant d'affluents que les
plus subtiles correspondances sur Luther et la guerre des paysans,
sur Jean-Sébastien Bach ou sur Shakespeare ne peuvent que laisser
une impression d'imprévisible fulgurance. De même, il est difficile
dans ce tourbillon de se faire une idée précise de ce qui se joue
dans la Révolution et à travers elle, de la rapporter à un objet
précis. Les luttes de la Renaissance, de la Fronde et de la
Révolution française appartiennent à la fois à La Révolution et
aux révolutions, qui se déroulent dans deux séquences temporelles
différentes. On a toujours raison de se révolter, proclame la
Révolution. On a des raisons de se révolter, disent les
révolutions. Quand les deux paroles entrent en résonance, éclate
alors <i>une </i>révolution. La flamme avec laquelle Landauer
convoque les figures historiques et les œuvres d'art fondatrices ne
peut faire oublier que rien de ce qu'il en voit ne nous éclaire sur
leur place dans l'histoire et la réalité des rapports sociaux dans
lesquels s'enracine leur « esprit ». La puissance poétique des
métaphores, les références au dépérissement de l'esprit ancien
quand s'ouvre une période de révolution dont on ne sait rien sur ce
qu'elle prépare, sinon que ses voies sont impénétrables, cette
fantasmagorie n'est guère faite pour donner la mesure sociale de ce
que représentent la guerre des paysans, la révolution anglaise ou
la Grande Révolution ; et elle ne rend pas davantage justice à ceux
qui furent les véritables protagonistes de ces bouleversements.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On peut certes parler pour le
Moyen Age de sociétés contre l'État, d'un faisceau de petites
monarchies qui se combattent en empêchant la naissance de la grande
monarchie. Corporations, noblesse, parlements, clergé, commune, tous
ces corps intermédiaires séparent et protègent l'individu de
ce qui deviendra avec la royauté absolue, et plus encore avec la
Révolution, une seule caste, un seul état, à savoir l'État, qui
inaugure l'ère de la politique. Gustav Landauer voit clairement les
effets de cette lente montée en puissance de la bourgeoisie qui fait
de l'individu le serf de la loi et du droit, et concentre tous les
privilèges « véniels » en un seul, celui que détient désormais
le tyran moderne. Et par réaction, il idéalise l'ancienne société,
celle de la féodalité, quand tous les éléments et toutes les
fonctions isolaient l'individu de ce qu'est l'État concentré
actuel<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote5sym" name="sdendnote5anc"><sup>v</sup></a>.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Cette stratification sociale,
véritable société de sociétés, était certes traversée par le
souffle de l'esprit que le christianisme vivant portait en lui. Mais
en réalité, les privilèges exorbitants et partout présents dans
les relations de pouvoir et d'exploitation, fondement de toute la
hiérarchie, et cet incroyable enchevêtrement de dispenses et de
règles ont été aussi contraignants pour la vie sociale que le pire
des traités de droit<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote6sym" name="sdendnote6anc"><sup>vi</sup></a>.
Et même si l'Église n'a pas été alors le carcan qu'elle devint
par la suite, la culture n'en a pas moins dû sans cesse ruser pour
échapper à l'asphyxie.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Que répond Landauer à « celui
qui voudrait m'objecter qu'il y eut aussi telle et telle forme de
féodalisme, de cléricalisme, d'inquisition, de justice, et ceci et
cela, je ne peux que répondre : je le sais, et pourtant... » ? Mais
« la Révolution », où faut-il alors la chercher ? Dans le ceci,
dans le cela, dans le pourtant ? Nous l'ignorons !</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Marqués par la nostalgie de
l'origine et la passion qui le pousse à la recherche d'un monde
réconcilié, révélateurs aussi de sa sensibilité et de ses
aspirations esthétiques sont les développements que Landauer nous
offre sur la chrétienté de l'époque médiévale, sur l'unité du
peuple et de ses croyances qui imprime sur la vie sociale sa marque
ineffaçable et lui confère son incomparable grandeur. On croirait
Novalis en train de rêver <i>Europe ou la chrétienté </i><span style="font-style: normal;">quand
Landauer évoque le Moyen Age, qu'il pourrait qualifier d'« énorme
et délicat », à la manière de Paul Verlaine, qui parle lui aussi
de l'individu « Guidé par la folie unique de la Croix/Sur tes ailes
de pierre, ô folle cathédrale ». Même son de cloche, pourrait-on
dire, chez Landauer. L'âge chrétien, affirme-Nil, représente un
degré de la civilisation où les structures sociales diverses
coexistent séparément et sont pénétrées d'un esprit unitaire
pour former librement un ensemble constitué de multiples éléments
indépendants.</span></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Mais s'il passe par les arts
pour nous apprendre que le Moyen Age est « une période
d'épanouissement, un sommet culturel », « un art quasi anonyme de
la totalité », il n'est guère disert sur la structure sociale, le
socle sur lequel se sont élevés le pouvoir de l'Église, celui des
seigneurs féodaux, comme plus tard celui des communes bourgeoises.
De qui et de quoi se compose ce « peuple » qui fit la Fronde, et
quelle exploitation forcenée cachaient les indéniables splendeurs
médiévales ? On n'en sait pas davantage sur <i>ce </i>qu'a signifié
dans le domaine des rapports sociaux la grande révolution du droit
qui accompagne la mainmise de la bourgeoisie naissante sur toutes les
nouvelles industries et les moyens d'échanges, sur le commerce et
les moyens de communication.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.06cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Augustin Thierry, un des auteurs
auxquels Marx attribue le mérite d'avoir découvert la lutte des
classes, avait appris de la Révolution qu'il n'est pas de génération
spontanée en histoire et qu'il faut savoir en traduire le langage
pour comprendre ses envolées. Ses splendides <i>Considérations sur
l'histoire de France </i>font revivre l'âge d'or de la bourgeoisie
des communes à travers la lutte des classes. Et elles nous en disent
plus long sur « l'histoire du tiers état, qui est, à proprement
parler, l'histoire de la société nouvelle », sur « l'immense
personnalité municipale » et sur la révolution communale qui
accompagne son lent travail d'organisation et de culture, que les
flamboyants raccourcis de Gustav Landauer, preuve qu'une certaine
passion révolutionnaire n'est pas forcément source de lucidité. Il
« a fallu, dit Augustin Thierry, que le temps vînt où l'on
pourrait appliquer aux révolutions du passé le commentaire vivant
de l'expérience contemporaine, où il serait possible de faire
sentir, dans le récit du soulèvement d'une simple ville, quelque
chose des émotions politiques, de l'enthousiasme et des douleurs de
notre grande révolution nationale<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote7sym" name="sdendnote7anc"><sup>vii</sup></a>».
« Le trait de lumière jeté sur une face inconnue de notre histoire
» ne s'est pas éteint aujourd'hui.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">C'est cette clarté que Marx a
su capter quand il évoque « l'essor merveilleux des villes » , et
elle illumine telle réflexion de Gustav Landauer et donne à sa
vision une profondeur que sa trop grande rapidité d'esprit ne lui
laisse pas toujours le temps de sonder. La lutte des classes, dont il
veut ignorer la signification, s'inscrit dans la durée et dans la
matière de l'histoire, le voyage dans l'âme des peuples ne connaît
pas ces pesanteurs ! On pourrait dire que chez Landauer l'essence, la
Révolution, précède l'existence, qui est celle des révolutions.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.03cm;">
<span style="font-size: small;">DU MARXISME FAISONS TABLE RASE</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.5cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Gustav Landauer a très vite
pris congé des orthodoxies réductrices. Mais, preuve d'une prudence
exemplaire, il ne s'est jamais départi d'une attitude mesurée
vis-à-vis de Marx. Cette influence se lit dans toutes ses critiques,
si bien que l'auteur du <i>Capital </i>est celui auquel il ne cesse
de penser sans toujours le nommer et qu'il suit comme son ombre sans
réussir à rejoindre le corps <i>de </i>la théorie. Il sut le plus
souvent garder Engels à distance, et ne pas confondre Marx avec le
marxisme et avec ses « épigones ». Sans toutefois l'exonérer,
il a pris soin de lui rendre justice pour ne pas avoir toujours
établi un rapport mécanique entre la conscience sociale et les
conditions matérielles. La théorie de Marx, explique-t-il, n'est
pas alors science refermée sur elle-même et abstraite, matérialisme
et déterminisme économique se fondent sur deux conceptions
radicalement différentes de l'histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Mais c'est sur deux autres
plans, dialectiquement complémentaires, que s'établit la
césure entre leur conception respective de la révolution et du
communisme. Pour Landauer, la transformation sociale radicale est
possible, elle le fut toujours, et cela indépendamment des
conditions sociales, économiques et culturelles créées par le
capitalisme. Seule la volonté de ne plus être esclave peut ouvrir
la voie à une nouvelle période de civilisation, et c'est pourquoi
l'idée de progrès est étrangère à Landauer, et même celle de
progression. Ne dit-il pas, assez superbement d'ailleurs, que par
rapport à leurs ancêtres, « tous les hommes ont le même âge ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Face à l'idée selon laquelle
le socialisme devrait nécessairement naître des conditions créées
par le capitalisme, Gustav Landauer se replie sur la thèse
classique, d'autant plus spécieuse qu'elle semble dictée par le bon
sens : le socialisme est partout et toujours possible, et il ne peut
surgir que si le peuple le désire et le construit. Ainsi le dit-il
dans son <i>Appel au socialisme : </i>le capitalisme n'a pas
obligation de se changer en socialisme. Il n'a nulle obligation de
périr. Le socialisme n'est pas davantage obligé d'advenir. Partant,
ce socialisme prolétarien et capitaliste d'État des marxistes n'est
pas obligé d'advenir — et ce ne serait pas une grande perte.
Aucune espèce de socialisme n'a obligation d'advenir. Mais le
socialisme peut venir au monde et il doit même se réaliser quand
nous le souhaitons, quand nous le créons<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote8sym" name="sdendnote8anc"><sup>viii</sup></a>.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Cet argument circulaire
n'infirme nullement la conception du socialisme comme dépendant de
la lutte des classes, mais il introduit la confusion, puisqu'on ne
désire que dans certaines conditions, on ne crée qu'avec ce qui
existe, on ne pense une transformation qu'à partir d'un état de
choses, on ne critique que ce qui se trouve devant soi. Ce que
Landauer appelle le transfert de la créativité humaine à des lois
historiques impersonnelles n'est que la conscience qu'il faut avoir
de <i>ces </i>lois pour en infléchir <i>le </i>sens.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">* * *</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Disons platement la chose !
Porter un regard sur la réalité sociale à laquelle nous
appartenons, c'est déjà juger et intervenir dans cette réalité.
L'acte de connaître modifie l'objet de ma curiosité, et quand je
comprends les conditions qui me font tel, l'intelligence de ma
situation sociale se transforme en conscience politique et, dès
lors, elle est partie intégrante de la situation matérielle
examinée. Ainsi, le seul fait de parler de « force de travail »
définit la place de l'ouvrier dans les rapports de production et
montre déjà que les chaînes auxquelles sont rivés les opprimés
leur sont imposées, partant que leur condition n'a rien de
volontaire. Comment pourraient-ils se soustraire à l'obligation de
vivre ? Cet abandon de leur droit à l'existence, qui aliène leur «
droit naturel », est une contrainte qui passe ensuite pour avoir été
librement consentie. Tous les rapports sociaux sont donc sous-tendus
par cet acte, et c'est pourquoi l'analyse marxienne commence par un
effort de conscience pour briser les chaînes de cet esclavage.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.03cm;">
<span style="font-size: small;">DISCOURS DE LA SERVITUDE ET DE
SES VOLONTAIRES</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.49cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Il en est de même de l'autre
versant de l'argument qu'implique l'idée de servitude volontaire, à
savoir qu'il suffirait de ne pas accepter d'être dominé pour être
aussitôt libéré. La « réalisation du socialisme est toujours
possible si un nombre suffisant de gens le souhaite. » Certes, le
socialisme prendrait un visage différent selon le degré de
développement technologique, mais il ne dépend pas de lui, il
dépend des gens et de leur esprit. « Le socialisme est possible et
impossible de tout temps ; il est possible quand les gens qui
conviennent sont là pour le vouloir et pour le faire ; il est
impossible quand les gens ne le veulent pas ou prétendent qu'ils le
veulent, mais ne sont pas capables de le faire<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote9sym" name="sdendnote9anc"><sup>ix</sup></a>
». Une certaine lecture de Marx avait convaincu Landauer que le
chemin tracé menait à une impasse : on ne peut aller à une société
non autoritaire en passant par l'autorité, ni à une société sans
État en passant par l'État. De même que le prolétariat de
l'entreprise capitaliste et le prolétariat de l'État portent
l'empreinte, en tant que classe, du système dont ils sont le produit
et l'antithèse, de même les marxistes ne transformeront pas l'État
en socialisme, mais c'est l'État qui transformera ces socialistes en
serviteurs de l'État.</span></div>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.03cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Cette véritable métaphysique
se réduit à l'idée que le socialisme est possible s'il se réalise
et qu'il ne se réalise que quand il est possible. Qu'il faut vouloir
pour pouvoir et qu'on ne peut que si l'on veut. Mais s'il en est
ainsi, et que l'homme a accepté à tel moment la servitude, pourquoi
changerait-il à tel autre ? Il faudrait alors croire que certains
rapports de domination et de dépendance qui ont rendu possible cette
acceptation permettent désormais le refus. La servitude dépendrait
donc de conditions particulières ! Quels moments et quelles
conditions ? Il ne peut s'agir de l'influence d'avant-gardes ou
d'individus, car rien n'explique qu'ils aient pu échapper au sort
commun. Nous voilà ramenés non plus à un acte non déterminé,
mais à une situation sociale spécifique, à l'interrogation à
laquelle Leroux et Marx ont tenté de répondre — aux antipodes en
vérité de la question vainement ressassée à la suite de Walter
Benjamin par tant de copistes maladroits : « Pourquoi les hommes ne
se révoltent-ils pas ? » Sans révolte, il n'y aurait pas
d'histoire, les « hommes » se sont toujours révoltés, dans le
silence ou dans la clameur des émeutes qui fait dresser l'oreille
aux puissants et aux gens éclairés, mais le sens de cette révolte
dépend de conditions historiques qu'il ne sert de rien d'annuler
d'un trait de plume.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Que s'il n'y avait pas eu une
série d'incroyables bévues et de provocations de la part de la
royauté absolue soucieuse d'éviter la banqueroute, il ne se serait
peut être rien passé en 1789 de nature à renverser le cours des
choses, nous dit Landauer. Mais comme en d'autres moments des
interventions non moins incroyablement inopportunes ne provoquèrent
rien, ou même le contraire de ce qu'elles auraient pu provoquer en
d'autres moments, le problème reste le même. Nous sommes ramenés à
une interrogation que Landauer se refuse obstinément à prendre en
compte, car l’œil du prophète est toujours tourné vers le haut
ou vers le lointain passé ou à venir, rarement vers le bas, vers
les fondements.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Et telles sont bien les deux
apories, qui renvoient à la structure même de la pensée <span style="font-style: normal;">de</span><i>
</i>Landauer, et qui montrent que « la révolution » dont il parle
est avant tout un principe spirituel sans enracinement dans les
conditions matérielles d'une époque, capable <i>donc de </i>surgir
et de disparaître au gré de révoltes non moins évanescentes. Le
mot évoque chez lui deux temporalités, deux mondes parallèles qui
en réalité ne se rencontrent jamais. C'est du moins l'idée que
lui-même s'en fait.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Dès lors, effets et temps sont
des catégories inadéquates pour rendre compte de la Révolution,
car elle introduit entre les séquences de l'histoire une identité
mystique qui pulvérise la chaîne des causalités. Voilà qui clôt
avant même qu'il ait commencé le procès historique de la
Révolution, et nous n'avons plus dès lors qu'à <i>imaginer </i>ce
que purent être ces périodes éloignées, puisque aucune de nos
catégories critiques ne peut nous en donner l'idée. Seuls l'art <span style="font-style: normal;">et</span><i>
</i>la poésie le pourraient, mais en quoi consiste leur lien avec ce
passé ? Les arts sont eux-mêmes aspirés par cette spirale
historique vertigineuse, dans une fuite en arrière, en avant, en
haut, en bas !</span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.85cm;">
<span style="font-family: Tahoma, sans-serif; font-size: small;">*</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.02cm; margin-top: 1.06cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On comprend que pour Landauer
l'analyse des conditions économiques et sociales soit chose seconde,
sinon secondaire, et que La Boétie occupe cette place à part dans
sa reconstitution d'une généalogie de la révolte idéale. Combien
lui eût été étrangère l'interrogation de Pierre Leroux qui, à
propos du <i>Discours de la servitude volontaire, </i>posait la
question qui coupe en deux l'histoire de l'émancipation, et ouvre la
période des révolutions ouvrières : « Pour que le Contr'un de La
Boétie fût le vrai CONTR'UN, il aurait donc fallu qu'on y apprît
comment les hommes pouvaient se passer d'avoir des maîtres, comment
ils pouvaient vivre entre eux et former une société […], sans se
dominer, sans se commander, sans reconnaître ni supérieurs, ni
inférieurs<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote10sym" name="sdendnote10anc"><sup>x</sup></a>. »
A défaut de quoi, les hommes peuvent se satisfaire du despotisme de
l'Un qui, à tout prendre, n'est pas pire que le despotisme de
plusieurs, fût-il maquillé en république, laquelle repose sur
l'exploitation du prolétariat « qui est une transformation de
l'esclavage ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Marx s'est efforcé de répondre
à l'inquiétude de Pierre Leroux en rapportant l'idée de révolution
à un ensemble de conditions historiques définies par le
développement du capitalisme. Non parce que ces « conditions »
seraient un progrès en soi, mais parce qu'elles offraient à la
révolte la possibilité de devenir « révolution » ; c'est-à-dire
que les conditions mêmes, nées de l'interaction entre les luttes
sociales et le développement des rapports de production,
permettraient enfin aux exploités d'établir une société qui
rendrait impossible le retour à la « vieille fange ». Rien de
commun avec ce que Landauer y découvre, à savoir que « le futur
pourrait être prédit avec une certitude mathématique ». Les
premières lignes du <i>Manifeste communiste </i>n'offrent-elles pas
précisément, pour qui sait en déchiffrer la dimension éthique, un
rappel du passé qui montre que la lutte des classes laisse le futur
ouvert sur la liberté et sur l'incertitude.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Chose étonnante, par sa forme
même et par son style, le discours <span style="font-style: normal;">de
</span>Gustav Landauer sur la Révolution se rapporte presque
exclusivement aux événements qui correspondent à un moment de
l'émancipation dite bourgeoise. « Ce sont deux choses différentes,
écrit-il, que le peuple qui fait la révolution, qui, soulevé par
l'esprit d'un petit nombre, accomplit des miracles d'héroïsme, qui
est grand dans le fanatisme sauvage comme dans les actions les plus
sympathiques d'amour et d'empathie, et le peuple qui, ayant reflué,
s'est retiré de l'esprit pour revenir à lui-même ; ce peuple veut
<i>panem et circenses. »</i></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">C'est bien des cycles de la
révolution bourgeoise que nous parle ici Landauer, des périodes
d'exaltation et de dépression qu'elle traverse alors que s'exerce
sur le peuple l'attraction de minorités dépositaires de l'esprit
révolutionnaire, minorités qui cèdent ensuite la place à des
tyrans, lesquels disposent alors du pain et des jeux — et des jeux
de l'esprit. Et ce peuple-là, dans cette révolution-là, est
évidemment l'objet de la servitude volontaire et les personnalités
qui surplombent cette histoire naissent elles aussi et se déploient
à l'intérieur du mouvement d'émancipation de la bourgeoisie.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Landauer est le fils de son
époque. Il partage avec beaucoup de ses adversaires, marxistes y
compris, autoritaires en premier lieu, l'illusion qui va devenir un
des lieux communs de la pensée politique moderne, et des anarchistes
: la « vie civile doit être maintenue par l'État tandis que dans
la réalité c'est l'inverse : l'État est maintenu par la vie
civile<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote11sym" name="sdendnote11anc"><sup>xi</sup></a>
». Refusez de servir, vous supprimez l'État, « la forme étatique
en soi », et la vie civile revient à sa forme communautaire
idyllique, voire communiste, comme par enchantement !
Simplement, comme on peut supposer que des révolutions ont été
nécessaires pour créer cet État même, « l'État absolu qui s'est
imposé précisément grâce aux révolutions », il faut bien que
cette histoire renvoie déjà à une structure sociale fondée sur
des antagonismes d'intérêts et à des institutions. Qu'est-ce donc
qui organise l'État et fait que tels rapports sociaux correspondent
à telle forme d'État à tel moment de l'histoire ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Paradoxalement, du moins en
apparence, le Parti d'avant-garde, fût-il marxiste, n'a jamais donné
congé à ces conceptions volontaristes, et on sait ce qu'il advint
en Octobre, quand Lénine pour prendre le pouvoir se convertit pour
un temps à Bakounine faute de trouver chez Marx de quoi légitimer
son entreprise. Celle-ci ne procède-t-elle pas de l'idée fixe qu'il
est possible d'apporter aux opprimés la conscience de leur condition
et de la nécessité de se révolter ? Et, s'ils s'y refusent,
n'a-t-on pas le droit et le devoir de les forcer à être libres ?
L'idée de servitude volontaire devient ainsi l'ultime refuge des
avant-gardes en quête d'une légitimation nouvelle, valable dans une
situation révolutionnaire et plus encore dans une situation de
développement économique où le capitalisme fait appel à
l'innovation et au changement pour assurer la dynamique productive.
C'est ainsi que l'anarchisme coupé de ses racines ouvrières ne
parle plus que de la révolte de l'individu, révolte fondée sur «
le développement de la jouissance de moi-même » (Stirner), et qui
a pu trouver dans l'individualisme exacerbé de la société
marchande un puissant écho. Cette exigence est même devenue un des
ressorts cachés de ce dynamisme, puisqu'une part des revendications
de l'individualisme est reprise et se fond avec celles du capitalisme
de marché. Après le déterminisme des marxistes, c'est au tour de
l'individualisme anarchiste d'apporter de l'eau au moulin de cette «
topie » contre-révolutionnaire, et Landauer n'est pas épargné
plus que d'autres.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span>
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.04cm;">
<span style="font-size: small;">LES HABITS NEUFS DE LA
CONTRE-RÉVOLUTION</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.49cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Erich Mühsam, qui fut proche de
Gustav Landauer et même l'un de ses proches, partageait maintes de
ses idées sur la révolution. Ce n'est pas tant chez les prolétaires
que chez les déclassés, les laissés-pour-compte, qu'il espérait
voir naître une conscience subversive. Eux seuls sont en dehors de
la société capitaliste, donc plus à même que quiconque d'en faire
une critique complète, qui ne se limite pas à l'économie. Mais
quel tropisme de classe exerce son influence sur ces déclassés ?
Leur négation des valeurs de la société capitaliste offre
l'affirmation inversée de la morale de la bourgeoisie ; et, ruse
d'une histoire dont ils pouvaient moins que d'autres soupçonner la
subtilité, une part de leur critique finira par devenir un puissant
adjuvant dans la libération des mœurs et des modes de vie conformes
à la marchandisation complète des sens et de tous les attributs
humains.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Tout ce que ces utopistes
communautaristes avaient rêvé, la transformation des conditions
d'existence quotidiennes dont ils se sont faits les chantres, les
groupes d'affinité et de proximité qui devaient provoquer une
transformation moléculaire des rapports sociaux, bref tout ce
changer la vie avant la lettre dont ils ont été les prophètes
révolutionnaires, voilà qui est devenu la réalité de la topie
capitaliste dans laquelle et avec laquelle nous vivons. Les
avant-gardes ont réussi à vider de son contenu la révolution
sociale pour y injecter leurs propres valeurs, celles de la
révolution sociétale, et l'intelligentsia, fidèle à ses intérêts
de classe, a opéré le véritable Écart absolu : jusqu'alors collée
au marxisme, et à ses promesses de pouvoir, elle s'est retournée
contre Marx et l'utopie révolutionnaire afin de réinvestir son
domaine de prédilection, à savoir le terrain d'une subversion
culturelle politiquement correcte.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Le triomphe du capitalisme de
marché sur le capitalisme d'État a inversé les conditions de la
critique en libérant le capital des contraintes que lui imposait la
lutte contre le « communisme ». Cette liberté nouvelle a révélé
au système que les revendications des avant-gardes culturelles et
politiques n'avaient rien de dangereux pour lui, au contraire. Loin
de pâtir de leur travail de sape non conforme, il pouvait absorber
tout ce qui se trouvait du côté de leur utopie subversive
échevelée, alors qu'il restait réfractaire à l'idée de «
progrès » qui se trouvait du côté de la conception matérialiste
et critique du monde exposée par Marx.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.02cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Le capitalisme, malgré les faux
frais occasionnés par cette dépendance, s'est accommodé du
contrôle de l'État le temps de briser les rigidités, de renverser
les barrières et les nationalismes. Ce travail accompli au prix des
convulsions sociales que l'on sait, et dont l'exonèrent aujourd'hui
les chantres de la démocratie de marché, il a remis l'État de
côté, mais de son côté, certes, et sous surveillance, car il lui
reste nécessaire, ne fût-ce que pour garder à l'oeil la critique
institutionnelle des formes surannées de domination et de maîtrise
des esprits. Si bien que l'État s'est lui aussi adapté à ces
nouveaux rapports de production que lui imposent l'innovation et la
stimulation des cycles de rotation du capital. Ce sont les plus
virulents critiques de la bourgeoisie et de sa morale de droit divin
qui, paradoxalement, ont fourni au capitalisme le principe
unificateur dont il avait besoin pour transformer le monde à son
image : changer la vie. Certes, Landauer ou Mühsam auraient vomi ce
monde, mais il faut comprendre, pour préserver leur part d'utopie,
ce que cette société a pu retenir de l'individualisme anarchiste et
de la pensée des avant-gardes poétiques et artistiques qui ont
recueilli cet esprit. Paradoxalement, c'est l'impalpable
scintillement de cette conception spiritualiste de l'histoire qui
assure la séduction que cette œuvre exerce sur certains esprits
alors même qu'ils restent obstinément aveugles quand il s'agit de
comprendre le rapport dialectique qui s'établit entre la conception
matérialiste et critique du monde et l'éthique du comportement
révolutionnaire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Le capitalisme dans sa
spécificité historique n'a rien à voir avec « l'esprit romain du
commerce et de l'usure », non plus qu'avec « l'individualisme
capitalistique romain » auquel se réfère Landauer. La « topie »
thermidorienne, qui est l'esprit du capitalisme libéré de l'Ordre
moral et de l'État total, cette topie, dont Marx n'a cessé de
scruter le dynamisme, ce qui fait du <i>Capital </i>le livre phare du
XXIème siècle, Gustav Landauer n'a pu en concevoir la substance et
le sens. Cette « topie » moderne, et même moderniste, intègre, en
effet, la conscience d'une régression nullement réactionnaire, mais
attachée à une certaine forme de progrès et de liberté qui est la
forme dernière de la servitude : exploitation et domination se
fondent dans l'échange « démocratique », l'unité de la liberté
d'entreprendre et de prendre se manifeste dans le mécanisme même de
la production et n'a nul besoin du recours à une force extérieure
de contrainte, à l'État total, ou totalitaire, pour s'imposer.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">En raison de ces formes
nouvelles d'accumulation et d'exploitation, César rend au
capital, et avec intérêts, ce que celui-ci lui a prêté avec
parcimonie. Il n'est plus, et il s'en faut de beaucoup, le
représentant quasi unique de l'oppression et les services privés
ont leur mot à dire. Voilà qui n'entre pas dans le cadre de la
critique par Landauer des phénomènes de répression et des révoltes
qui semblent ne tourner qu'autour de ce centre fixe. Landauer a beau
admettre que l'État et la société sont étroitement imbriqués,
comme la révolution politique et la révolution sociale, en dépit
de ces formules lapidaires l'État apparaît toujours dans son œuvre
en extériorité, voire en surplomb : comme maître qui se rapporte à
la société par la seule vertu de la servitude volontaire. La cause
devient l'effet, et l'effet la cause.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Révolution et État sont chez
Landauer dans la même relation à l'histoire que celle décrite par
Marx dans <i>La Question juive : « </i>L'État politique se rapporte
à la société civile d'une manière aussi spiritualiste que le ciel
envers la terre. Il se trouve envers elle dans la même opposition,
il en vient à bout de la même manière que la religion surmonte la
limitation du monde profane, c'est-à-dire qu'il est de nouveau
contraint de la reconnaître, de la rétablir et de se laisser
lui-même dominer par elle<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote12sym" name="sdendnote12anc"><sup>xii</sup></a>.
» Il nie l'égoïsme de la société civile, et il l'anéantit
idéalement, dans le principe, mais il s'en accommode, comme le Ciel
s'accommode de la Terre et finit même par se soumettre à elle.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La critique de Landauer porte
essentiellement sur ce qu'il considère comme le cœur du
déterminisme marxien : le rapport dialectique, de négation et
d'affirmation réciproques, entre le développement du capitalisme,
les formes de luttes qu'il génère et la révolution. Il doute, il
nie que la classe ouvrière puisse jamais avoir l'importance que Marx
lui attribue dans le processus d'émancipation, et qui découle
de sa centralité dans les rapports de production. Le monde entier de
la domination gravite autour de l'État et [des] formes d'autorité
et de centralisme qui s'y rattachent ». Landauer admet tout au plus
comme évolution que l'Un royal de La Boétie n'est qu'une facette de
la servitude ; mais la clef de la servitude se trouve bien dans cet
Un qui a nom État. Tel est le principe de toute division, comme de
toute unité sociale arbitraire, et il n'est pas étonnant que ce
texte soit devenu en quelque sorte l'anti-Marx des antitotalitaires
qui y découvrent l'alpha et l'oméga des rapports de domination —
à savoir « l'autoservitude, le renoncement à soi-même, la plus
sordide des abjections, la suspicion que nourrissent les hommes non
seulement contre les autres hommes, mais de plus contre eux-mêmes,
ont leur l'origine dans la forme de l'État en soi, qui a mis la
forme de la domination, de l'extérieur, de la mort, à la place de
l'esprit, de la vie ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Landauer ne demande rien d'autre
aux hommes que de proclamer qu'ils n'ont ni supérieurs ni inférieurs
entre eux, donc qu'ils peuvent en tout temps et en tout lieu se
passer de maîtres ; et qu'il leur suffit d'accorder leur production
à leur consommation pour trouver enfin le remède à tous les maux
et revenir à une existence rationnelle. Aussi le dit-il avec force à
propos du <i>Discours : </i>« Mais Étienne de La Boétie a le mot :
il n'est besoin de rien d'autre pour être libre que du désir et de
la volonté. C'est une servitude volontaire. Il semble presque,
dit-il, que les hommes dédaignent ce précieux bien de la liberté
parce qu'il est trop facile. »</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Nul doute que Landauer ne
partage cette pensée. Elle structure en effet toute sa vision des
révoltes dans l'histoire puisque celles-ci se développent <i>sui
generis </i>pourrait-on dire. Nous sommes effectivement aux antipodes
de la conception matérialiste et critique du monde, et de la
conception marxienne de la révolution. On ne lit pas sans quelque
malaise les « Douze Articles de la Fédération socialiste », du 14
juin 1908, année qui suit la publication de <i>Die Revolution. </i>Il
y expose son programme en termes d'une généralité telle que tout
s'y dissout dans une nébuleuse de revendications car, nous disent
les articles 5 et <i>6, </i>la « tâche » de la Fédération
socialiste « n'est ni la politique prolétarienne ni la lutte
de classe, l'une et l'autre accessoires du capitalisme et de l'État
oppresseur ; sa tâche c'est le combat et l'organisation en vue du
socialisme », et son « action véritable [...] ne pourra commencer
que le jour où des masses et des groupes importants se seront joints
à elle ». Détail révélateur, un tract, diffusé à dix mille
exemplaires par la Fédération, précisait à l'intention des
prolétaires que le modèle de la Fédération serait celui des
sections et des districts des villes à l'époque de la Révolution
française<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote13sym" name="sdendnote13anc"><sup>xiii</sup></a>.
Une fois encore, la Grande Révolution sert de référence, alors que
Juin 1848 et la Commune ont sonné l'heure des révoltes ouvrières
et du socialisme, et qu'une nouvelle histoire commence. Certes,
Landauer nous dit bien que 1871 marque un tournant en Europe, mais en
quoi consiste vraiment cette rupture...</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.99cm;">
<span style="font-size: small;">1905 : L'HISTOIRE EN UN CLIN
D'ŒIL</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.52cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">A l'heure où Landauer revient à
sa table de travail pour écrire <i>Die Revolution, </i>le mouvement
ouvrier a été bouleversé par un événement qu'attendaient depuis
des décennies tous les théoriciens marxistes, tous les contempteurs
de l'autocratie tsariste : une révolte de masse en Russie et la
naissance d'un prolétariat industriel qui ne s'opposait pas
seulement à l'empire knoutocratique, mais qui faisait surgir
spontanément au grand jour ses propres organes de lutte, et des
revendications spécifiques. Or, l'expression de Landauer reste
enchâssée dans une image de la révolte qui semble échapper à
l'histoire réelle, comme si le temps pouvait passer sans sculpter le
visage de l'utopie sur le modèle des nouvelles espérances et sans
que la volonté de changer la vie tienne compte de ce que la vie a
changé. <i>La Révolution </i>de Gustav Landauer est un hymne à la
passion révolutionnaire, rythmé par l'évocation des grandes heures
des révolutions dites populaires, mais où manque curieusement ce
qui devrait être le volet central de cette rétrospective :
l'apparition et la montée d'une force nouvelle dans les luttes, une
analyse de ce qu'elle apporte de radicalement différent, des
perspectives inédites qu'elle ouvre — donc la place que l'individu
révolutionnaire occupe dans cette configuration, puisque « l'homme
est métabolisme » et ne saurait se comprendre sans cette relation
complexe avec un passé immémorial.</span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.28cm;">
<span style="font-family: Tahoma, sans-serif; font-size: small;">*</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.64cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Nous sommes en effet au
lendemain de la révolution russe de 1905 qui a ébranlé le régime
de l'autocratie tsariste jusque dans ses fondements. Pour Rosa
Luxemburg, Trotski, Lénine comme pour bien d'autres, les formes de
lutte que cet événement a révélées au monde, la grève générale
et les conseils ouvriers, ont infirmé toutes les analyses de la
social-démocratie, toutes les prévisions sur la fonction et la
place de l'avant-garde et de la théorie dans la révolution. Ils
intègrent cette conscience toute neuve dans la lutte politique
qu'ils mènent désormais. Trotski, qui fut président du soviet de
Pétersbourg, prend la plume pour tirer la leçon de ce qu'il aura
vécu de l'intérieur, et ce qui mérite de survivre de l’œuvre du
Prophète désarmant se rapporte plus à cette expérience fondatrice
qu'à l'épopée militaire qu'il illustra de ses talents de stratège.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Lénine doit admettre également
que le rapport masse-parti risque d'être inversé par l'apparition
des conseils ouvriers. C'est le mouvement ouvrier qui en Russie a
apporté une nouvelle conscience à la social-démocratie, dont la
science se trouve elle-même mise à mal par cette irruption dans la
société d'une spontanéité créatrice à laquelle nul ne songeait
l'instant d'avant. On peut dire avec le temps que tout le génie
politique, et même politicien, de Lénine aura été d'intégrer
cette nouvelle donne dans sa conception de la révolution et de la
prise du pouvoir : faire des soviets les relais destinés à assurer
la domination du Parti unique. « Tout le pouvoir aux soviets »,
sous l'égide du comité central du Parti, ce sera la réponse à
cette question et, de ce point de vue, 1905 aura bien été ce qui en
a été dit : la répétition générale d'Octobre, mais à l'envers,
car <i>ce </i>qui avait été l'espoir de cette génération sera
balayé par le bolchevisme triomphant.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Gustav Landauer parle de la
révolution alors même que résonne encore l'écho de ce
soulèvement. Et que reste-t-il de l'histoire dans la vertigineuse
remise en perspective de l'esprit révolutionnaire à laquelle il se
livre ? Une brève allusion à « ce qui a commencé en Russie » et
dont « nul ne peut dire à l'heure actuelle si tout n'en est là
qu'à son éveil ou bien déjà à son déclin ». Après les pages
d'un lyrisme flamboyant sur la chrétienté, la Fronde, la Grande
Révolution, La Boétie et les juristes, on s'étonne de ne rien
trouver de plus sur ce qui fait la nouveauté radicale de la
généalogie du socialisme et du communisme depuis la Conjuration de
Babeuf.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span>
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span>
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span>
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">L'ÉTAT DANS LA RÉVOLUTION</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.52cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Tableau étonnant, à vrai dire,
que cette plongée dans le monde révolutionnaire, car Landauer
semble aveugle à ce qui concerne la révolution prolétarienne pour
ne faire porter la lumière que sur les mouvements les plus radicaux
de la révolution bourgeoise, mais qui restent à l'intérieur de
cette problématique de l'émancipation. Et certes, c'est à partir
de ce mouvement reconstitué que Landauer prétend éclairer les
différentes phases de la civilisation en montrant qu'aucune loi,
aucune idée du progrès ne peut établir une hiérarchie entre elles
et assigner aux époques antérieures une finalité qui serait notre
propre histoire. Mais comment se cristallisent à l'intérieur de
chacune de ces grandes figures de la civilisation les éléments qui
permettent à une autre forme sociale de se développer et de prendre
la succession ; comment ce que Landauer appelle l'utopie donne-t-il
naissance à une topie ? Rien dans cet anarchisme aux accents
mystiques n'apporte de réponses solides aux questions concrètes que
l'histoire pose à ceux qui doivent répondre au jour le jour.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On est confondu de voir que tous
les événements révolutionnaires sont ramenés à cet esprit
qui descend sur les hommes comme pour une parousie. Finalement, les
révolutions seraient-elles autre chose que des hypostases de La
Révolution, cette période caractérisée par la désagrégation
d'une époque organique comme le fut par exemple celle du Moyen Age.
Hormis la recomposition d'une telle époque de civilisation grâce à
l'apparition d'un nouvel esprit unificateur, point de salut !</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Il est étonnant d'observer, à
travers ses propres exemples et ses références aux auteurs qui ont
annoncé ou accompagné ces bouleversements, que Landauer ne connaît
de la révolution que le moment pathétique où surgit son acteur
principal, à savoir le peuple. Dès qu'il parle socialisme, ce sont
de telles généralités et de tels lieux communs qui viennent sous
sa plume qu'il est impossible au critique d'en rien retenir. Et en
vérité, si Landauer ne nous livre l'esprit de la révolution qu'en
donnant vie à ces différentes expériences de révolutions
bourgeoises, sans distinguer ce qui en chacune d'elles se rapporte à
telle classe ou à telle autre, ce n'est certes pas par ignorance.
Landauer, qui connaissait de source sûre les travaux de Kropotkine
et l’œuvre des hérauts de la Révolution française, savait ce
qu'il en était mieux que quiconque. Mais il était lui-même soumis
à une logique particulière : c'est la société bourgeoise, c'est
la révolution politique qui porte à son degré d'incandescence
l'esprit politique et qui sacralise le pouvoir de l'État.
L'anarchisme se retrouve ici curieusement proche des penseurs qui
font de la volonté l'âme du monde. Une fois encore, c'est Marx qui
comprit le sens de cette contradiction en analysant les conditions
particulières grâce auxquelles « l'État s'érige en universalité
», et en montrant sur quels antagonismes repose la séparation de
l'État politique et de la société civile — si bien que « dans
ses moments d'exaltation, la vie politique cherche à étouffer le
principe dont elle procède, la société civile et ses éléments,
afin de s'imposer comme la vie réelle et harmonieuse de l'homme, sa
vie générique », et qu'elle doit pour y parvenir « se dresser
violemment contre ses propres conditions d'existence, proclamer que
la révolution est permanente<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote14sym" name="sdendnote14anc"><sup>xiv</sup></a>
».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.04cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Où trouver l'État dans sa
puissance maximale sinon dans ces moments d'exaltation politique où
la volonté semble venir à bout de tout ! Celui qui fait de ce
pouvoir le pivot de l'oppression ira donc chercher les formes de
l'émancipation humaine dans la critique de ce tout-politique. Comme
il concentre toute son attention sur les formes paroxystiques de la
domination politique, il préfère ignorer l'évidence : que l'État
peut occuper une place dépendante, plus adaptée aux conditions de
l'exploitation flexible ; et que, finalement, la figure du
tout-puissant Égocrate, qui pendant les phases transitoires de
conquêtes impérialistes et d'accumulation « bloquée » semble
tout absorber, disparaît tout aussi vite de l'histoire et ne sert
ensuite que de contre-modèle. Et c'est pourquoi la pensée
antitotalitaire est apparue comme une pensée de l'après-coup,
incapable de voir que les changements intervenus à l'intérieur
du champ totalitaire s'inscrivaient depuis belle lurette dans une
transformation logique des rapports de production. Si les
bureaucrates se sont convertis en serviteurs zélés de l'économie
de marché sans état d'âme, c'est qu'ils avaient depuis longtemps
vendu leur âme au diable capitaliste. Et qu'il ne s'agissait en
fait que d'une seule et même religion.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.03cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">L'État politique total reste
donc l'alpha et l'oméga de cette analyse critique, et l'idée de
servitude sera à l'unisson. L'aliénation propre à la vie politique
a ainsi déteint sur ceux qui s'en faisaient les plus virulents
contempteurs, et elle les a empêchés de voir que cette forme
transitoire n'était pas la forme de domination de la vie moderne, et
que l'idée de « servitude volontaire » représentait un stade
provisoire de dessaisissement. Une fois menée à terme la révolution
politique et achevés les formes d'accumulation primitives et les
cycles de l'impérialisme, ébauches autoritaires du marché mondial,
c'est le capital total qui prend ses aises, tout autre chose en
vérité que l'État total. La liberté du marché réclame
impérativement son dû, et ceux qui n'ont pas su lire sur les
produits le nouveau chiffre de la Bête, comme Marx le fit, sont
amenés malgré qu'ils en aient à jouer le jeu de la nouvelle
alliance entre la subversion et l'aliénation.</span></div>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.54cm;">
<span style="font-size: small;">NE PAS RENDRE À CÉSAR CE QUI
NOUS APPARTIENT</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.48cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Une remarque de Franz
Schoenberner, qui appartenait au journal satirique <i>Simplicissimus,
</i>nous fait comprendre mieux que toute analyse dans quel cercle
aporétique se meut la pensée de Landauer sur la Révolution. Nous
sommes encore un pied dans la guerre, à ce moment tragique de la
révolution de Munich. Landauer parle dans un meeting qui rassemble
les masses avides d'entendre une parole susceptible de leur indiquer
la voie à suivre pour se libérer de leurs conditions de vie
insupportables. Son discours, si l'on en croit Franz Schoenberner, «
était plein d'un profond et passionné pathos éthique, puisé dans
le génie religieux de sa race<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote15sym" name="sdendnote15anc"><sup>xv</sup></a>
». Rosa Luxemburg, quand elle s'adressait au même moment aux
spartakistes révoltés, donnait à son engagement un tout autre sens
; elle savait mesurer sa passion éthique aux réalités et aux
obstacles qu'il faudrait surmonter pour ne pas entraîner en un vain
sacrifice ceux qui plaçaient en elle leur confiance. Mais certes, au
regard de l'eschatologie « prophétique » de ce qu'elle n'eût pas
osé appeler « sa race », sans doute avait-elle des accents
réformistes propres à lui attirer les foudres des Isaïe et des
Ézéchiel de la Révolution pure. Il n'est que de jeter un coup
d'oeil sur l'incroyable pandémonium qui règne alors dans les
cercles révolutionnaires de Munich pour se poser la question terre à
terre : La Révolution, pour quoi faire et pour qui ? Pour ne pas
faire mentir les prophètes ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">« Comme tant d'autres
intellectuels socialistes juifs de la classe moyenne, Landauer, nous
dit Eugene Lunn, était plus un idéaliste éthique qu'un politique
pragmatique ou un analyste du social rigoureux. Alors que Marx
réussit plus ou moins à combiner les trois démarches, Landauer
n'en avait nul souci. [...] Il ressemblait davantage à un Isaïe ou
à un Ézéchiel. » Disons plutôt que Marx représente la
cristallisation de courants de pensée nés de l'expérience
ouvrière, et cette synthèse fonde une conception rationnelle de la
Révolution, aussi éloignée des illuminations que des impatiences
de cette « minorité » qui par ses « miracles d'héroïsme »
ou de fanatisme communiquerait au peuple sa passion.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Gustav Landauer, en revanche, ne
voit dans la révolution qu'une aspiration portée sur les ailes du
désir de liberté. D'où cet appel à la révolte contre l'injustice
et l'oppression, qui s'enracine puissamment dans le sentiment de
cette perte d'une unité entre la vie collective et populaire et les
aspirations de l'individu ; mais aussi cette infinie nostalgie des
origines, ce sentiment océanique et incoercible d'une unité perdue
qui le fait se tourner moins vers l'avenir des luttes que vers les
mondes engloutis où disparaissent néanmoins la fragmentation de
l'individu et sa séparation de la communauté. Ce ton unique a une
grandeur tragique, qui est la voix même de Landauer au moment de sa
mort, quand il oppose à la réalité mensongère la vérité de son
rêve. Mais il est une autre espérance vivante, celle que le
mouvement ouvrier dans sa composante « communiste » fait entendre
au même moment par la voix de Rosa Luxemburg et des marxistes, et
elle tient alors en respect le « prophétisme apocalyptique pétri
des imprécations chères à Nietzsche et nourri du système de
négation de l'Unique.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Cette voix s'est tue
aujourd'hui, et « la révolution » semble ne plus répondre qu'à
l'appel d'un anarchisme new-age qui fait flèche de tout le bois mort
amassé au cours des ans tant par les non-conformistes dits de droite
que par les avant-gardes de la subversion. Dès lors, rien d'étonnant
qu'une part de l’œuvre et de la personnalité de penseurs comme
Gustav Landauer fascine et réponde à la recherche en paternité
d'une intelligentsia qui place ses engagements politiques
parfaitement conformes sous le signe du non-conformisme. Elle a
découvert dans ces « racines » libertaires une source de réflexion
intellectuelle inépuisable et de quoi légitimer sa position
schizophrénique comme critique institutionnelle des institutions.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Rien de plus étranger à la
passion révolutionnaire de Gustav Landauer, qui fut à l'opposé de
ce monde, mais qui, pour son malheur, lui est aujourd'hui bien utile
comme contrepartie au matérialisme, voire à l'économisme, d'un
marxisme dont on se demande, au vu des tares que lui découvrent ses
anciens zélateurs, comment il a pu occuper toutes leurs pensées.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Simone Weil, si proche parfois
d'une pensée anarchiste colorée par les irisations de la foi, n'a
pas manqué de donner à l'interrogation de La Boétie un vibrant
écho dans <i>Oppression et Liberté. </i>Et, comme trop souvent
quand elle se tourne vers l'histoire sans majuscule<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote16sym" name="sdendnote16anc"><sup>xvi</sup></a>,
elle nous a laissé une critique de Marx où défilent nombre des
lieux communs que les milieux antitotalitaires ne manqueront pas
d'utiliser le moment venu, mais elle y met la prudence et
l'intelligence sensible qui lui permettent de voir au-delà même de
ses propres limites.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Après avoir admis que le
matérialisme de Marx ne concerne que la « notion de matière non
physique », la « matière sociale » et « non pas la matière
elle-même <a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote17sym" name="sdendnote17anc"><sup>xvii</sup></a>
», elle ne craint pas de déclarer que « Marx a purement et
simplement attribué à la matière sociale ce mouvement vers le bien
à travers les contradictions, que Platon a décrit comme étant
celui de la créature pensante tirée en haut par l'opération
surnaturelle de la grâce<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote18sym" name="sdendnote18anc"><sup>xviii</sup></a>
» ; qu'il aurait oublié « que la production n'est pas le bien » ;
et que, à l'instar de ses contemporains, il aurait complètement
sous-estimé l'importance de la guerre, car, dit-elle, « le XIXème
siècle a été obsédé par la production, et surtout par le progrès
de la production, et [...] Marx a été servilement soumis à
l'influence de son époque<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote19sym" name="sdendnote19anc"><sup>xix</sup></a>
». Autant de contrevérités destinées à ramener Marx dans la
problématique mystico-chrétienne chère à Simone Weil, de manière
à le mesurer à cette aune réductrice.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">La conception matérialiste de
l'histoire laisse en effet le problème épistémologique de la «
matière » aux abstracteurs de quintessence, aux philosophes, et
elle s'en tient à l'analyse des rapports de production et de classes
d'une société donnée ; aux conditions « matérielles » qui
définissent ce que Marx pensait être la dernière forme
d'exploitation non parce que la « matière sociale en aurait ainsi
décidé, mais parce que la production permettrait enfin de
satisfaire les besoins du plus grand nombre et que la lutte des
classes « tirerait » l'histoire vers le « bien », à savoir la
solution d'un conflit qui n'aurait désormais plus de raison de s'en
remettre à la « grâce », ou à « l'esprit » pour trouver une
issue.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">Chacun aura compris que cette
matière sociale englobe aussi bien la culture que la politique et
l'économie. Quant à l'histoire qui succéderait à la préhistoire,
Marx ne pouvait ignorer qu'elle ne serait à l'abri ni des
souffrances ni des conflits ; mais il pensait, en s'en tenant à une
mesure du « progrès » fondée sur des besoins élémentaires dont
la satisfaction a de tout temps été suspendue à l'activité «
économique », que ces inévitables maux seraient différents de
ceux qui endeuillent les sociétés d'exploitation. Partant, il
n'érigeait nullement « la production » en <i>deus ex machina </i>de
l'histoire, mais il s'efforçait d'en expliquer rationnellement les
effets et son rapport à la structure hiérarchique de la société.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">Nous avons cité à dessein
Simone Weil, car on trouve dans son œuvre les marques d'une
composante « mystique » qui ne semble pas étrangère à Gustav
Landauer quand il parle du Moyen Age et de son esprit, quand il
interroge la foi et ses origines, ou quand il soumet à ses critiques
Marx et plus encore le marxisme et la social-démocratie. Mais
surtout, ses pages sur la Révolution, sur l'idée de Révolution, si
denses qu'elles se gravent aussitôt dans la mémoire, nous aident à
comprendre l'interrogation éthique et le doute qu'éveille en temps
ordinaire cette idée d'un bouleversement social irréversible. Les
uns vivent ces heures comme accomplissement d'une passion héroïque
qui seule permet d'échapper aux impératifs de la gravité sociale,
et la mort est le couronnement tragique de ce qui met en jeu
totalement leur existence ; alors que les autres, la majorité des
individus soumis à la loi commune, ne peuvent accepter de faire
dépendre leur vie de valeurs qui ne répondent en rien à leurs
conditions d'existence. Déduire du fait qu'ils renoncent à se
révolter que leur attitude est l'expression d'une servitude
volontaire revient à nier en eux la part de liberté à laquelle on
en appelle pour les libérer au nom de « la révolution ».
Contradiction logique dont on ne peut sortir que par une autre idée
de l'émancipation.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.46cm;">
<span style="font-size: small;">UN MÊME NOM POUR DEUX VISAGES</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.01cm; margin-top: 0.48cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Et c'est pourquoi Simone Weil ne
craint pas de porter la main sur le saint des saints : « Il est
cependant, depuis 1789, un mot magique qui contient en lui tous les
avenirs imaginables, et n'est jamais si riche d'espoir que dans les
situations désespérées ; c'est le mot de révolution », dont on
peut se demander « s'il n'est autre chose qu'un mot, s'il a un
contenu précis, s'il n'est pas simplement un des nombreux mensonges
qu'a suscités le régime capitaliste dans son essor et que la crise
actuelle nous rend le service de dissiper. Cette question semble
impie, à cause de tous les êtres nobles et <span style="font-weight: normal;">purs
qui ont tout sacrifié, y compris leur vie, à ce mot. Mais seuls les
prêtres peuvent prétendre mesurer la valeur d'une idée à la
quantité de sang qu'elle a fait répandre ».</span></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">Un mot, en effet, un mot qui n'a
jamais rien voulu dire en soi, puisqu'il peut se rapporter aussi bien
aux anonymes sans voix qu'aux thermidoriens, à Carnot comme à
Babeuf, aux ouvriers révoltés de Gdansk comme à Walesa, docile
instrument de l'Église auprès de Solidarnosc, et, plus près de
nous, aux « révolutions » dites rose, orange, de velours — «
déferlante émancipatrice de la société européenne », si l'on en
croit l'ex-maoïste André Glucksmann, « déferlante » sous
influence dont le seul but et le seul résultat furent d'émanciper
la propriété privée des contrôles de la politique, donc
d'installer le capitalisme privé en ses terres d'exploitation. Ces
coups d'État à figuration plus ou moins populaire inaugurent une
ère que d'aucuns peuvent faire entrer dans le cycle des «
révolutions » d'autres dans le cycle des contre-révolutions.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">Si l'on cesse de se rapporter à
des abstractions historiques, à des termes plus ou moins biaisés et
qu'on prend soin, pour juger les événements en fonction de
l'intérêt des classes en présence, de définir les mots
conformément à ceux qui portent ces intérêts et les défendent,
on peut dire alors que la révolution de 1789 comme celle d'Octobre
ont eu un double sens : l'arrivée au pouvoir des uns s'accompagne de
l'éviction des autres, et les uns comme les autres étaient pourtant
convaincus au départ de défendre le même idéal. « La révolution
» a toujours le visage de Janus. Encore convient-il de ne pas se
tromper de face ! C'est ce que nous apprend le matérialisme marxien,
qui nous renvoie à une tout autre lecture que celle que nous
proposent Simone Weil ou Gustav Landauer.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0.04cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">Prenons par exemple la Fronde,
présente en quelques pages lumineuses dans <i>Die Revolution, </i>comme
répétition générale de la Grande Révolution. La révolte contre
l’empiétement du pouvoir royal, révolte d'une aristocratie
tisonnant la colère « populaire », qu'offrait-elle comme
possibilités d'émancipation aux véritables opprimés ? Landauer
n'entre guère dans le détail des antagonismes que masque un
objectif commun nullement « révolutionnaire ». Finalement, la
royauté absolue qui sort des barricades domestique cette noblesse
encore pleine d'énergie et sape ainsi sa propre base politique. Mais
une classe nouvelle, celle qui se fera entendre en 1789, a mesuré
ses intérêts et ses limites. « Le peuple » a remis les clefs du
véritable pouvoir à la bourgeoisie, et elle ne va pas tarder à en
ouvrir les portes. Pour l'heure, elle se réfugie et se renforce à
l'ombre de la couronne et continue en silence « sa » révolution.
Quelle Révolution finalement ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-weight: normal;">Les
révolutionnaires de 1789 furent à la fois vainqueurs et vaincus.
Mais qui furent-ils ? Ceux qui ont fait la Révolution, les paysans
et les bras-nus, n'appartenaient pas forcément aux milieux
révolutionnaires, et ils n'en ont pas moins infléchi le sens de
l'histoire en y instillant un principe nouveau, tandis que d'autres
faisaient main basse sur les biens nationaux. Le sens du mot «
révolution » dépend finalement de la réponse à quatre questions
: qui, quoi, pourquoi, comment ? « Parce que nous voulons refaire
[la révolution], écrivait Babeuf dans </span><i><span style="font-weight: normal;">Le
Tribun du peuple, </span></i><span style="font-weight: normal;">ils
nous traitent </span><i><span style="font-weight: normal;">d'anarchistes,
</span></i><span style="font-weight: normal;">de </span><i><span style="font-weight: normal;">factieux,
</span></i><span style="font-weight: normal;">de </span><i><span style="font-weight: normal;">désorganisateurs.
</span></i><span style="font-weight: normal;">Mais c'est par une de
ces contradictions toutes semblables à celle qui leur fait appeler
révolution la contre-révolution. » Et d'ajouter dans ce même
article : « Mais tel est le dictionnaire des palais, des châteaux,
des hôtels, que les mêmes expressions offrent toujours l'inverse de
signification qu'on leur reconnaît dans les cabanes<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote20sym" name="sdendnote20anc"><sup>xx</sup></a>
» Une lucidité </span>qui donne à l'expérience de Babeuf cette
densité qui manque parfois au lyrisme de Landauer.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La révolution en soi, la
révolution telle qu'en elle-même est un songe-creux que chacun peut
remplir de ses chimères. Avec l'« idée » de Marx, la révolution
se place à distance aussi bien des billevesées de la « liberté
libre », libre de toute détermination, que du déterminisme
historique de la social-démocratie ou du volontarisme des grands
Jacobins qui curieusement n'est pas étranger à la conception de
l'histoire des anarchistes.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.47cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On reste avec <i>Die Revolution
</i>au centre de l'ambiguïté si cruellement soulignée par Simone
Weil, à savoir que les sacrifices consentis par des révolutionnaires
intransigeants, animés d'une foi sans partage dans l'idée de
bouleverser le monde, ne donnent pas pour autant crédit à leur
croyance ni à leurs actions. Simone Weil en déduit que l'idée même
de révolution, une fois revue et passée au feu du doute, n'apporte
pas de réponse à nos interrogations. Nous pensons plutôt que cette
idée de révolution doit être soumise à la notion de spécificité
historique, et que l’œuvre de Landauer doit à son tour répondre
au postulat marxien de la contingence historique de toutes les
théories, comme d'ailleurs le matérialisme historique.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.01cm; margin-top: 0.03cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Marx a pu écrire que les
Communards étaient montés à l'assaut du Ciel. Mais on peut dire
aussi qu'ils ont fait redescendre la Révolution du Ciel sur la
Terre, et que le mouvement ouvrier, à commencer par le syndicalisme
révolutionnaire, ne s'est pas ensuite écarté de cette recherche
désespérée de moyens capables d'inscrire enfin les principes
utopiques sans les soustraire à la réalité. Nous sommes bien loin
alors des raccourcis historiques de Landauer, qui nous montre à
l’œuvre dans l'ancienne Russie les « hommes d'essence créatrice,
qui ont encore en eux le chaos et la force du mythe, ne possèdent
pas spécialement de logique, d'esprit de conséquence ou de rigueur
» ; et qui semble retrouver ce même esprit dans « la révolution,
qui dans les guerres hussites et les guerres des paysans et d'autres
mouvements semblables avait essayé pour la dernière fois et pour
longtemps de changer la vie, toute la vie, et surtout ce qu'on
désigne aujourd'hui par conditions économiques et sociales ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Babeuf, Eugène Varlin, Fernand
Pelloutier, Jules Andrieu, Rosa Luxemburg — cette généalogie nous
mène ailleurs, aux côtés de gens qui ont « essayé » de faire en
sorte que le « peuple », si souvent invoqué par Gustav Landauer,
tienne compte des conditions dites économiques et sociales et donne
un sens radicalement nouveau à l'idée d'émancipation. Ce « peuple
» prend alors un visage bien différent de celui que sculpte
Landauer à l'image de ses propres aspirations. C'est en cela que
réside le véritable renversement de perspective qu'opère une «
Révolution » qui peut difficilement respirer à cette hauteur où
Landauer entend trop souvent l'élever.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La formule de Breton : «
"Transformer le monde", a dit Marx ; "Changer la vie",
a dit Rimbaud : ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un »,
s'est trouvée par la force des choses décomposée en ses deux
parties. La seconde proposition a progressivement absorbé la
première, et ce mouvement est au cœur de la régression actuelle.
Depuis la Commune de Paris et son échec, la révolte ouvrière a
cherché à sortir des sentiers battus pour ne pas retomber dans les
mêmes sanglantes ornières. Elle est devenue le ressort d'une pensée
de transformation du monde soudée à une éthique du comportement
révolutionnaire. Et sur cette base s'est développée une remise en
cause de l'intelligentsia spécialisée et domestiquée, toujours en
quête de nouveaux travestissements idéologiques pour masquer ses
intérêts de classe. Après s'être reconnu un temps dans le
marxisme, le « socialisme des intellectuels » s'est progressivement
éloigné de toute conception matérialist<span style="font-weight: normal;">e
et critique de l'histoire pour mettre l'accent sur la dénonciation
du Pouvoir et de l'Ordre moral — et revendiquer d'autres pouvoirs
et un autre ordre, plus conformes à ses intérêts et à sa morale.</span></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Toute critique relevant de la
lutte des classes a été écartée insidieusement au prétexte que
la thèse « matérialiste » de Marx, en fait celle de tout le
mouvement ouvrier organisé, versait dans un pur économisme, une «
idéologie productiviste », et attelait la théorie révolutionnaire
au char de triomphe du capitalisme. Ainsi réapparaissent selon les
besoins l'envers ou l'endroit d'un psychologisme à l'épreuve du
temps : côté face, les opprimés se complaisent dans leur servitude
; côté pile, la liberté est à portée de leurs mains quelles que
soient les conditions historiques, mais ils n'ont pas de mains pour
la prendre. Dans les deux cas, les maîtres ont l'avenir devant eux.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.05cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On voit comment une saine
réaction contre le marxisme orthodoxe, imprégné par un
matérialisme mécaniste depuis longtemps hors d'usage, a pu
infléchir le sens de l'analyse au point d'inverser toutes les
propositions marxiennes et de revenir, dans la configuration
intellectuelle de Mai 68, à une conception volontariste et
psychologisante de la critique sociale. Demandez l'impossible, et le
possible vous sera donné de surcroît. Quel possible ? De même que
Herbert Marcuse, quand il réactualise les idées sur les «
outsiders », ne fait que retrouver une idée vieille comme le monde,
le monde du capitalisme s'entend, de même Karl Korsch, dans ses
thèses sur le marxisme et l'anarchisme, rejoint Gustav Landauer et
une critique anarchiste récurrente — celle qui croit qu'il n'est
besoin que d'exclure la « science » de Marx afin de rendre à la
conscience révolutionnaire sa place dans l'histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.05cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.05cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.62cm;">
<span style="font-size: small;">DIRE LA SERVITUDE</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.5cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La thèse de Karl Korsch sur «
l'identification mystique du développement de l'économie
capitaliste avec la révolution sociale de la classe ouvrière » a
été tant de fois répétée qu'elle semble relever de l'évidence.
Mais ne fût-ce que pour pouvoir parler de révolution sociale, il
fallait bien que l'économie capitaliste se soit développée jusqu'à
créer une classe ouvrière susceptible de concevoir un changement
radical de ses conditions d'existence, premier pas vers son
émancipation. Sauf à penser que la révolution et le socialisme
étaient depuis toujours à l'ordre du jour, ce qui passe pour une «
identification mystique » n'est que le résultat d'un
bouleversement des rapports sociaux que l'analyse des conditions
historiques de la production ne pouvait ignorer. En revanche, l'idée
que la révolution sociale radicale puisse être compatible avec
n'importe quel état de la société, cette idée procède bel et
bien d'une mystique de la révolte : celle-ci aurait été alors
toujours identique à elle-même, et rien ne différencierait les
luttes de la classe ouvrière des autres mouvements populaires.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><span style="font-weight: normal;">Landauer
reprend le mot de La Boétie. « Il n'est besoin, dit-il, de rien
d'autre pour être libre que du désir et de la volonté. » La
tyrannie « n'est pas un mal extérieur, mais un manque à
l'intérieur ». Il n'est que de ne pas consentir à la servitude
pour être libre et pour retirer au tyran son pouvoir. Mais d'où
viennent les conditions et les moyens de ne pas consentir ? Mystère,
donc, mystère de l'âme humaine qui ignore la contingence, et c'est
pourquoi « la révolution », quand on l'appelle, est partout la
même, partout possible et à chaque moment, ainsi que le socialisme.
Et c'est pourquoi aussi la question de La Boétie est pour Landauer
le dernier mot du catéchisme révolutionnaire, « le microcosme de
la révolution », dont il suffit d'égrener les thèmes. Pas
étonnant, dès lors, que cet essai « annonce ce que plus tard
diront dans d'autres langues Godwin et Stirner, et Proudhon et
Bakoun</span>ine et Tolstoï : c'est en vous ; ce n'est pas au-dehors
; c'est en vous-même ; les hommes ne doivent pas être liés par la
domination, mais alliés comme des frères. Sans domination ;
an-archie ». Sans doute, mais cela est soit inscrit dans la nature
humaine, et immuable, soit produit de l'histoire, et tributaire de
conditions qu'il convient de changer.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La Révolution est désormais
entre les mains de l'individu qui peut faire fi des conditions
sociales « extérieures ». La dimension « sociétale » qui se
substitue aujourd'hui à la dimension sociale était déjà au cœur
des théories anarchistes. Mais paradoxalement, il lui aura fallu
attendre les conditions spécifiques créées par le capitalisme pour
prendre son essor !</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">L'idée de « servitude
volontaire » revient ainsi hanter le monde moderne. Toutefois, alors
que La Boétie, par le seul fait de poser ainsi le dilemme, retirait
au tyran tous ses attributs collectifs et le forçait d'apparaître
nu dans son isolement, et quelque peu fluet sur son trône, désormais
c'est à l'envers que la question est posée, pour mieux revêtir le
pouvoir tyrannique de son camouflage démocratique. Ce sont les
opprimés qui doivent eux-mêmes chanter les louanges de la servitude
sur l'air de la liberté. Pis encore, invoquer La Boétie revient à
mettre sur le même plan toutes les révoltes, puisque toutes les
oppressions ont le même statut, et dans la nuit de la servitude tous
les opprimés se ressemblent : paysannerie du monde antique,
habitants des cités de la Grèce, plèbe de la Rome des Gracques,
esclaves et petits propriétaires ruinés de la révolte de
Spartacus, révoltes paysannes de la féodalité ou flambées
hérétiques de la chrétienté, guerre des paysans de la Réforme,
Révolution anglaise, Révolution française — tout est dans tout
et tout est du pareil au même, et tout étant toujours possible,
tout finit par un couplet du <i>Contr'un, </i>interprété à
contresens des vœux de son auteur : Révoltez-vous, et tout vous
sera donné de surcroît !</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">« Domination et exploitation ne
sont qu'une seule et même idée », dit Marx dans une lettre à
Arnold Ruge de 1843. N'en déplaise aux interprètes trop pressés
d'attribuer à Marx ce qui leur revient, <i>Le Capital </i>en est
l'illustration, qui déploie d'un bout à l'autre une réflexion sur
leur enchevêtrement inextricable dans les rapports de production
capitalistes. C'est pourquoi Marx est devenu la pierre de touche
capable de faire dire à la pensée thermidorienne ce qu'elle
voudrait dissimuler dans la mesure où toute la régression politique
passe par les critiques qui sont dirigées contre la conception
matérialiste de l'histoire ; et où c'est par ce détour qu'il est
fait table rase d'une réflexion sociale radicale sur la révolte et
la révolution. La « relation politique de pouvoir précède et
fonde la relation économique d'exploitation ». Pierre Clastres nous
livrait là ce qu'il pensait être la leçon de son étude des
sociétés primitives. Il n'imaginait certes pas que cette thèse,
adaptée aux conditions nouvelles de la lutte contre le «
totalitarisme », deviendrait en quelque sorte l'expression
ordinaire d'une inversion de causalité destinée désormais à
mettre l'exploitation hors la critique de la domination. S'il nous
fallait risquer un anachronisme landauerien, nous parlerions à ce
propos de la thèse centrale d'une nouvelle « topie » de la
philosophie politique. N'est-ce pas cette séparation opérée entre
pouvoir et exploitation qui a permis à la démocratie de se libérer
de l'idée d'oppression économique pour se déployer dans le ciel de
l'égalité citoyenne ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.06cm; margin-top: 0.44cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">C'est Jean-François Lyotard qui
a donné à la notion de servitude volontaire une expression conforme
à la nouvelle configuration et instillé ainsi dans les théories
les plus réactionnaires le supplément « psy » sans lequel elles
ne pouvaient plus s'imposer aux esprits. « Les sans-travail anglais
ne se sont pas faits ouvriers pour survivre, ils ont —
accrochez-vous ferme et crachez-moi dessus — <i>joui </i>de
l'épuisement hystérique, masochiste, de <i>tenir </i>dans les
mines, dans les fonderies, dans les ateliers, dans l'enfer, ils ont
joui dans et de la folle destruction de leur corps organique, qui
leur était certes imposée, ils ont joui qu'elle leur soit imposée,
ils ont joui de la décomposition de leur identité personnelle, de
celle que la tradition paysanne leur avait construite, joui de la
dissolution des familles et des villages, et joui du nouvel <i>anonymat
</i>monstrueux des banlieues et des pubs du matin et du soir <a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote21sym" name="sdendnote21anc"><sup>xxi</sup></a>.
»</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Que les vrais déracinés, les «
sans » feu ni lieu, aient dû pour survivre à la disparition de
leur monde vendre une force de travail interchangeable et trouver
dans le nouveau système qui s'était imposé des raisons de vivre,
sous peine d'être « détruits » corps et âme ; que leur appareil
pulsionnel et psychique se soit à leur corps défendant conformé à
la condition sociale à laquelle ils étaient rivés — quel «
masochisme », en vérité ! Le « jouir de leurs entraves » permet
à Jean-François Lyotard, économiste de la libido, de brosser avec
complaisance le tableau de la moderne servitude volontaire, décalque
inversé du « jouir sans entraves », ce <i>nec plus ultra </i>de la
petite-bourgeoisie intellectuelle enragée qui mesure tout à l'aune
de son propre rapport aliéné à la réalité sociale : elle aspire
à prendre place dans le monde qui l'opprime, et elle ne critique son
oppression que s'il refuse de la lui accorder. « Aucune loi n'oblige
le prolétariat à se soumettre au joug du capital, c'est la misère
et le manque de moyens de production qui l'y contraignent. » Qui
parle ainsi ? Rosa Luxemburg. Dans son ignorance de cette
incomparable jouissance, elle mesurait la contrainte à l'aune
de cet économisme » qui faisait dire à ce grand maladroit qui fit
un jour <i>Alceste </i>qu'il faut manger pour vivre.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Cornelius Castoriadis, sans pour
autant comprendre quel rapport de classe sous-tendait désormais la
présence insistante d'une telle idéologie, n'en observait pas moins
avec pertinence les premiers signes d'une dilution de la critique
sociale dans une pensée de la subversion parfaitement adaptée aux
nouvelles formes de la domination. Et l'inconscience de classe ne
l'avait pas encore aveuglé au point de voir dans Deleuze, Foucault
et leur suite des « libertaires », non plus qu'en Sartre un
révolutionnaire dont les audaces journalistiques auraient valeur
exemplaire. « Les divertisseurs sont là. Les uns font joujou
avec le "désir", la "libido", etc. », tandis
que leur « complément rigoureux, Foucault <i>(ce siècle sera
deleuzien ou ne sera pas, </i>dit-il. Rassurons-nous : il n'est pas)
présente <i>toute </i>la société comme entièrement résorbée
dans les rets du pouvoir, gommant les luttes et la contestation
interne qui mettent celui-ci en échec la moitié du temps. (Aux
dernières nouvelles, il a découvert lui aussi une "plèbe"
— mais qui se <i>"réduit" </i>dès qu'elle <i>"se
fixe elle-même selon une stratégie de résistance". </i>Résistez
si cela vous amuse — mais sans stratégie, car alors vous n'êtes
plus plèbe mais pouvoir)<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote22sym" name="sdendnote22anc"><sup>xxii</sup></a>
».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Si ce n'était galvauder les
termes, nous pourrions dire que, contre la mystique de la révolution,
se dessine ici sa contrefaçon, une pseudo-mystique de
l'exploitation. L'ultime pensée des maîtres se projette sur les
opprimés pour leur attribuer leurs propres affects et faire de leur
nécessité la vertu sociale. La violence brute imposée par le mode
de production répondrait aux aspirations les plus secrètes des
exploités, victimes consentantes, heureuses d'être sacrifiées sur
l'autel de l'accumulation primitive. Ainsi grâce aux nouveaux modes
de vie, les intellectuels néo-soixante-huitards, thermidoriens
nourris de théories modernes et qui accèdent enfin à la maîtrise,
ont ajusté leur nouvel habillage et moulé leur style et leur
langage sur cette vision du corps exploité conforme à un «
culturalisme » bien compris. Le corps physique écrasé disparaît
au profit du corps consentant, et l'idée de servitude désirante
s'installe dans les replis de l'inconscient et innerve toute la
culture, et l'art d'avant-garde en premier lieu. La machine
opprimante n'aurait fait que répondre à la machine désirante des «
sans » . C'est la négation du sens que La Boétie entendait
donner à son <i>Discours ; </i>la négation de l'esprit de la
révolution selon Landauer.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La réaction, qui emprunte ses
couleurs à la palette de Mai 68, tient tout entière dans
l'inversion de causalité si bien mise en lumière par l'auteur du
<i>Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi
les hommes.</i></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.81cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Jean-Jacques Rousseau prolonge
ici sans aucun doute possible l'interrogation de La Boétie, mais la
bourgeoisie s'est déjà si bien élevée que le pouvoir n'a plus
seulement la couleur du religieux et du juridique. Il s'inscrit assez
crûment dans les formes d'accaparement et de spoliation économiques.
Aussi Rousseau recentre-t-il sur une base quasi « sociale » le
problème en soulignant que, plus encore que l'esclavage, domination
et servitude renvoient à l'enracinement de la loi dans l'opposition
entre riche et pauvre. C'est illusion de penser que les ilotes se
satisfont de leur condition au point d'aliéner librement leur droit
au profit de ceux qui les pressurent. L'opposition dominant-dominé
masque en fait l'acte de dépossession originel qui a la richesse et
l'accaparement pour pivot. Le riche, pressé par la nécessité de
protéger ses biens, « inventa des raisons spécieuses » de manière
à faire croire que la loi qui soumet également « le puissant et le
faible à des devoirs mutuels » bénéficie au second en premier
lieu. Ainsi, « tous coururent au-devant de leur fer croyant assurer
leur liberté . Mais, en réalité, les lois, sous figure d'égalité,
« donnèrent de nouvelles entraves au faible et de nouvelles forces
au riche » et « d'une adroite usurpation firent un droit
irrévocable, et pour le profit de quelques ambitieux assujettirent
désormais tout le Genre-humain au travail, à la servitude et à la
misère . Mettre au jour la violence que recouvre cette aliénation
dite volontaire, c'est légitimer le droit de révolution, qui
devient alors un geste de réappropriation, la négation en acte des
sophismes des politiques qui « attribuent aux hommes un penchant
naturel à la servitude » — et se réservent ainsi le droit de les
satisfaire. Et c'est en examinant « les usurpations du gouvernement
» que Rousseau, dans le <i>Contrat social, </i>montre qu'il n'est
pas même besoin de l'acquiescement des dominés pour que le maître
déduise de son pouvoir acquis la légitimité de son usurpation et
lui donne l'onction de la servitude volontaire, « de sorte qu'il se
prévaut d'un silence qu'il empêche de rompre, ou des irrégularités
qu'il fait commettre, pour supposer en sa faveur l'aveu de ceux que
la crainte fait taire, et pour punir ceux qui osent parler.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.81cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La démocratie ne dessine que
les figures de la domination, les transformations des formes du
pouvoir politique, et laisse de côté l'exploitation, l'économique,
véritable fondement de l'inégalité qui, dès lors, ne peut être
changée que par une action radicale sur les rapports de production —
une révolution. Le « totalitarisme », qui prétendait faire d'un
changement autoritaire des rapports de propriété le levier de cette
transformation du monde, a démontré, <i>a contrario, </i>que la
volonté politique était impuissante à infléchir l'histoire, que
l'aiguille revenait toujours au point de départ quand on ne
respectait pas la mesure du temps.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.81cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">L'utopie a encore un avenir
devant elle précisément parce qu'elle s'arrache à cette
configuration sophistique qui est devenue une partie de la topie de
notre siècle, la pensée de la domination démocratique au service
des maîtres modernes. Si l'on s'en tient à Pierre Leroux et que
l'on rapporte son exigence à la situation créée aujourd'hui par la
« démocratie », système de domination qui a chassé la tyrannie
par la porte, mais l'a laissée revenir par tous les espaces qu'elle
aménage dans les institutions, on en arrive au subtil
désenchevêtrement qu'opère Blaise Pascal : « Il est dangereux de
dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'y obéit
qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il lui faut dire
en même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il
faut obéir aux supérieurs non parce qu'ils sont justes, mais parce
qu'ils sont supérieurs. Par là voilà toute sédition prévenue, si
on peut faire entendre cela et que proprement [c'est] la définition
de la justice<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote23sym" name="sdendnote23anc"><sup>xxiii</sup></a>. »
</span>
</div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.81cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Posons le problème en termes
plus prosaïques : l'intériorisation des normes de la servitude doit
nécessairement <i>être dite </i>volontaire, sinon elle échouerait
à dissimuler le fait qu'elle ne l'est pas ; et essayons de trouver
la formulation « matérialiste » qui nous sortirait du cercle
vicieux dans lequel tourne l'anarchisme « sociétal » : quels
appareils de médiation politiques et économiques sont
nécessaires pour faire apparaître la situation sociale des
catégories les plus infortunées comme consentement à leur propre
asservissement ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Tel a été pour Marx le sens
même de son analyse du système d'oppression, et comme sa réponse
prend le contre-pied de toutes les voies que la psychologie emprunte
infatigablement pour nous convaincre que nous sommes peu ou prou des
volontaires de la servitude, et qu'il suffirait de vouloir changer la
vie pour que la vie change, il s'est d'emblée placé du côté de
l'utopie actuelle, de cette autre idée de la révolution qui rejoint
et complète celle de l'anarchie — l'une et l'autre restant
inachevées, réunies par les mêmes ennemis, libertaires ou
marxistes, qu'importe !, qu'il faut savoir nommer aujourd'hui pour
savoir nommer ceux d'hier.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.02cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Dans la conclusion de son
ouvrage sur <i>Marx et Keynes, </i>un des livres les plus féconds
que nous ait légués le marxisme pour nous éclairer sur la période
actuelle, Paul Mattick interroge lui aussi l'idée de révolution.
Mirage ou passage obligé pour atteindre une terre promise qui s'est
jusqu'ici dérobée à notre vue et qu'on pare alors de toutes les
vertus ? « Il se peut, dit-il, que le socialisme soit une chimère
et que la société soit vouée à rester une société de classes »,
car « on chercherait en vain une force sociale véritablement
décidée à inscrire ce projet dans les faits ». « L'ère des
révolutions est peut-être close. » Mais parmi les raisons qui
rendent, selon lui, encore concevable et possible une « révolution
socialiste », arrêtons-nous à deux remarques complémentaires : «
Nonobstant les différences de situation sociale au sein de chaque
classe, la société capitaliste comprend seulement deux classes
fondamentales. » — « La classe dirigeante ne peut se comporter
autrement que ce qu'elle fait<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote24sym" name="sdendnote24anc"><sup>xxiv</sup></a>
», la loi générale de l'accumulation capitaliste et sa tendance
historique restent les mêmes.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Les premières citations nous
reportent à une idée de la révolution qui romprait radicalement
avec « tous les mouvements du passé [qui] ont été le fait de
minorités, ou faits dans l'intérêt de minorités » ; nous y
retrouvons l'image du <i>Manifeste communiste </i>sur l'immense
majorité qui serait désormais sujet et objet de cette
transformation. Les secondes balaient l'illusion tenace selon
laquelle on pourrait changer si peu que ce soit l'ordre des choses en
bricolant le système d'exploitation et de domination, et nous
revenons derechef soit aux intuitions de Landauer, soit à l'analyse
rigoureuse de Marx, l'utopie révolutionnaire et l'anarchisme, qu'il
nous faut creuser pour voir comment elles s'enrichissent l'une
l'autre, et se complètent.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.47cm; text-indent: 0.64cm;">
<span style="font-size: small;">Dans le désert mental il n'est
jamais de pays conquis », disait Roger Gilbert-Lecomte, un des rares
poètes d'un siècle qui s'il a parlé d'abandonce de « poésie »
n'a su en présenter qu'une version contrefaite, conforme à la «
déconstruction » qui en a été faite. Et tout est toujours à
reconquérir, ajouterons-nous pour prolonger l'image de
Gilbert-Lecomte. Car un tel désert n'est pas seulement silence et
vide à perte de vue ; le vide est partout envahi de mirages qui se
donnent pour la réalité et égarent ceux qui cherchent la source de
la révolte en dehors des chemins battus et rebattus. Aussi, afin de
découvrir quelques-uns des « éléments de culture » qui font si
cruellement défaut aujourd'hui pour penser la dissidence et la
révolution, convient-il de reconquérir cet espace sans égard pour
les châteaux de sable que nos aînés ont abandonnés derrière eux.
Et admettre notamment que « l'extension de la problématique
révolutionnaire à tous les domaines de la vie, et en premier lieu
de la vie quotidienne<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote25sym" name="sdendnote25anc"><sup>xxv</sup></a>
», ne peut se comprendre aujourd'hui que comme extension de la
problématique révolutionnaire par une certaine classe à tous les
domaines de la vie, et en premier lieu de la vie quotidienne d'une
petite-bourgeoisie intellectuelle qui s'est réapproprié tout le
passé, à commencer par celui de la classe ouvrière, et l'exploite
à ses propres fins.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Comme il fallait hier arracher
Marx aux marxistes de la chaire et aux contournements théoriques des
trotskistes pour retrouver Marx tel qu'en lui-même, c'est-à-dire
Marx critique du marxisme<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote26sym" name="sdendnote26anc"><sup>xxvi</sup></a>,
il faut procéder de la même manière avec Gustav Landauer :
l'arracher aux anarchistes de la chaire, souvent transfuges des
chapelles marxistes reconvertis dans le libertaire académique. Une
fois occulté le principe de spécification historique, qui permet de
replacer les idées de Landauer dans leur temps, ne trouvent-ils pas
facilement dans cette œuvre les germes de l'idéologie qui devaient
si bien prospérer avec eux et grâce à eux sur le terrain du
capitalisme sociétal ? Illustration tragique, qui se fait aux dépens
de Landauer, de son idée selon laquelle le passé revient toujours
hanter le présent et ne disparaîtra vraiment que quand la
révolution aura définitivement enterré cette histoire et ceux
qui s'en font les hérauts.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Tout ce qui était alors
inquiétude justifiée devant une évolution dont on pouvait craindre
le pire, on le retrouve intégré pour une large part dans ce fatras
mystico-romantique, culture de la subversion dont le but est avant
tout de mettre toute idée de lutte des classes de côté ; et de
concilier dans un nouveau juste milieu existentiel les deux choses
que Landauer n'a jamais cessé d'avoir en horreur : un engagement,
voire un embrigadement dans l'avant-garde d'un nouveau pouvoir ; la
soumission aux exigences culturelles de l'État. Après le marxisme,
c'est l'anarchisme qui donne des gages à Thermidor, et la boucle de
la topie réactionnaire contemporaine se referme ainsi sur elle-même.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.03cm;">
<span style="font-size: small;">RUPTURE DE GÉNÉALOGIE</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.52cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Quand on interroge les
événements, ceux de 1793, comme ceux de la Commune, ou ceux qui ont
précédé et accompagné l'effondrement de l'Empire bismarckien, on
prend conscience d'un phénomène qui remet les prétentions des uns
et des autres à leur place : « la révolution », pour autant qu'on
ne parle pas d'un esprit qui survole les siècles mais d'un événement
enraciné dans les besoins, les intérêts et les désirs des
opprimés, n'a pas davantage obéi aux prophéties des anarchistes
qu'aux commandements des marxistes ou autres théoriciens chargés
d'ouvrir les chemins de l'avenir. Le supposé déterminisme des uns
et la prétendue liberté absolue des autres les ont tous laissés en
suspens devant un élément, la spontanéité révolutionnaire des
masses, que Rosa Luxemburg avait su mesurer sans pour autant lui
reconnaître les vertus miraculeuses que certains par la suite ne
manquèrent pas de lui attribuer, pour en faire à leur tour un
principe mystique, la clef d'une théorie passe-partout de
l'histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.01cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Aussi, ce qui se substitue
aujourd'hui au roman de la révolution pour lequel bolcheviks et
anarchistes ont chacun écrit un chapitre sans nous éclairer
davantage sur le nœud de l'intrigue relève d'une question éthique
fondamentale : que signifie être révolutionnaire dans notre société
? Qu'implique l'acte de révolte absolue que Breton, par exemple,
mettait au centre de son refus, l'acte de foi qui consiste à
postuler que « la révolution » viendra résoudre tous les
problèmes ? N'est-ce pas le fantasme des milieux ultra-gauchistes de
toujours rejeter à demain ce qui n'a pas eu lieu le jour même, et
qui était pourtant déjà le lendemain du jour d'avant ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Dans ce domaine, il n'est pas de
modèle, il n'est que des questions à poser et surtout à comprendre
si l'on ne veut pas se tromper de réponse. Tout au plus peut-on
savoir, par exemple, que l'espoir de voir la démocratie
représentative, et le suffrage universel qui l'accompagne, aplanir
le chemin pour une transformation sociale, ou servir de recours pour
éviter le pire, s'est révélé le pire des leurres, alors même
qu'il semble aujourd'hui recueillir les suffrages de certains milieux
anarchistes. De <i>ce </i>point de vue, il faut revenir aux œuvres
de Rosa Luxemburg, de Marx ou de Georges Sorel et de quelques autres
pour tirer de leurs expériences et de leurs destins une leçon
qu'ils ne surent pas clairement nous exposer, parce qu'ils étaient
eux-mêmes confrontés à une autre histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.01cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Quels éléments de réflexion
apportent-ils sur ce qui reste la question de vie ou de mort de la
Révolution, à savoir le rapport dialectique qu'elle entretient avec
notre Thermidor : on peut critiquer le capitalisme pour le réformer,
il y a des chercheurs, des instituts et des partis pour cela, mais
toucher au capital n'entre point dans leurs programmes de recherche
et doit même en être proscrit. Georges Sorel pensait qu'une fois
passée telle conjonction bien particulière entre le développement
du capitalisme et la lutte des classes, l'espoir en une révolution
sociale pouvait être renvoyé aux calendes grecques. Mais c'est Rosa
Luxemburg qui nous a donné la clef de cette éclipse de la
révolution à laquelle nous assistons, en même temps qu'elle
montrait que le déterminisme économique ne s'entend pas sans la
seule liberté sociale concevable, celle que la lutte des
classes introduit dans l'histoire : « Le régime capitaliste a ceci
de particulier, que tous les éléments de la société future, en se
développant, au lieu de s'orienter vers le socialisme, s'en
éloignent au contraire. La production revêt de plus en plus un
caractère social. Mais comment se traduit ce caractère social ? Il
prend la forme de la grande entreprise, de la société par actions,
du cartel, au sein desquels les antagonismes capitalistes,
l'exploitation, l'oppression de la force de travail, s'exaspèrent à
l'extrême<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote27sym" name="sdendnote27anc"><sup>xxvii</sup></a>.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.05cm; text-indent: 0.25cm;">
<span style="font-size: small;">A part quelques généralités
sans grande portée critique, Gustav Landauer reste muet sur ce qui
permet de comprendre pourquoi il est encore minuit en ce début de
siècle alors que tout y parle de subversion et que l'anarchie s'y
porte bien. Le <i>Manifeste communiste </i>expose le principe de
cette involution : tout ce qui ne se fera pas dans le cadre d'une
transformation sociale maîtrisée par l'intervention d'une classe
révolutionnaire consciente des objectifs à atteindre et des
convulsions sociales auxquelles il convient d'échapper, tout sera
accompli de manière anarchique, sous l'empire d'une nécessité dont
un des traits est de toujours aggraver les maux qu'elle prétend
prévenir. Distinction de sexe et d'âge, famille, travail des
enfants, rapport homme-femme, patrie, nationalité, rapport
ville-campagne — le <i>Manifeste </i>égrène tous les domaines
dans lesquels les communistes étaient accusés de vouloir introduire
un nivellement réducteur sous couvert d'égalité. Jetons un coup
d’œil autour de nous : propriété privée, concentration, marché
mondial, uniformité de la production industrielle et conditions de
vie qui en résultent — tout s'est accompli, mais par le jeu
aveugle des rapports de production capitalistes de sorte que la
barbarie réapparaît au sein de la civilisation sous une forme
nouvelle. La barbarie lépreuse se présente sous le masque du
progrès et de la subversion.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Car l'histoire des idées, que
démontre-t-elle et en quoi consiste la nouveauté ? Une catégorie
d'intellectuels est apparue, qui a exhumé du fonds de la culture
révolutionnaire les idées susceptibles de légitimer cette
évolution. Landauer ou Marx, Louise Michel ou Rosa Luxemburg, tous
ont payé leur tribut à ce socialisme des intellectuels, mais leurs
œuvres se prêtent plus ou moins à cette métamorphose radicale qui
les incorpore dans le système même de la reproduction culturelle.
Que reste-t-il de leurs idées après ce passage parmi les modernes
réducteurs de têtes ? C'est la seule question qui permette
aujourd'hui de penser Thermidor et de comprendre ce que nous dit
encore l’œuvre de Landauer.</span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.84cm;">
<span style="font-family: Tahoma, sans-serif; font-size: small;">*</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.64cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Nous voulons associer la mémoire
de Gustav Landauer à celle d'Erich Mühsam, qui écrivit en mai 1919
« L'homme révolutionnaire Gustav Landauer », moins pour leur
rendre un hommage bien inutile que pour les libérer d'une certaine
postérité, et montrer en quoi le destin de ces deux anarchistes,
que liait une inspiration commune, nous parle encore de « la
révolution ». En quoi précisément ? Leur sort nous livre en
quelque sorte le raccourci des tragédies du XXème siècle, et un
enseignement sur les formes de répression et de régression qui nous
guettent. Gustav Landauer fut la victime, comme Rosa Luxemburg, de la
soldatesque que Gustav Noske, le « chien sanguinaire », gérant
honnête de la social-démocratie allemande, avait armée contre les
révolutionnaires.</span></div>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.03cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Erich Mühsam, rescapé de la
première vague de terreur, devait périr dans un camp ouvert par les
nazis, forme ultime de la contre-révolution commencée en 1918 avec
l'alliance entre les socialistes de l'empereur et le GQG de ce qui
deviendra sous leur impulsion la Reichswehr. Les nazis, qui
travaillaient cette fois sous leur propre uniforme et pour leur
propre compte, ne firent qu'achever l’œuvre de la
social-démocratie. N'avait-elle pas voté, à la quasi-unanimité,
les crédits pour la Première Guerre mondiale, prélude à tous les
massacres qui ont ensanglanté ensuite le continent européen et le
monde ? Et signé avec le sang des spartakistes l'acte de naissance
de la république de Weimar ? La social-démocratie, son appareil à
tout le moins, a rempli sa tâche, en toute légalité, Hitler
poursuivit la sienne, avec l'onction des urnes qu'il rejeta ensuite
d'un coup de botte méprisant. Le pouvoir dans les deux cas était au
bout du bulletin de vote, et si parler de peste brune peut avoir
aujourd'hui un sens pédagogique, encore faut-il filer la métaphore
et rappeler que les bacilles en furent semés par d'autres hommes,
qui s'ils n'allèrent pas jusqu'au bout préparèrent le terrain pour
l'épidémie.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">L’œuvre de Landauer et celle
de Mühsam comme leur fin tragique nous rappellent que les chaînes
de l'esclavage se rattachent à deux piliers, à gauche et à droite.
Qui l'ignore ne peut comprendre pourquoi aujourd'hui le régime
totalitaire, dit par antiphrase communiste, s'est changé si
facilement en son « contraire » ; et pourquoi hier le nazisme a
trouvé si facilement dans le régime parlementaire ses points
d'appui et le levier qui lui a permis de faire basculer le pouvoir.
Peut-être faudrait-il parler d'un lien de classes et des rapports de
domination et d'exploitation plutôt que d'un lien de servitude
volontaire ?</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.01cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">La « topie » de notre temps,
c'est de ne voir dans l'un, l'État total, que ce qui l'oppose à
l'autre, la démocratie représentative, et de faire en sorte que
rien de ce qui les rattache l'un à l'autre n'apparaisse plus au
grand jour. Que nous dit dans ce domaine l'idée de Landauer sur
l'histoire comme spécialité destinée à distordre les rapports de
causalité pour les faire correspondre à la réalité aliénée ?
Elle aide à rétablir la véritable filiation entre les «
socialistes de l'empereur » et les nationaux-socialistes, deux
enfants naturels du siècle, élèves d'écoles différentes, certes,
mais instruments dociles d'une même nécessité : briser le
mouvement ouvrier, alors menaçant, et éradiquer tous les meneurs, à
commencer par ceux qui défendent un marxisme entaché du péché de
« révolution ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.03cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Mission accomplie par la
social-démocratie qui a ouvert ici une brèche au nazisme ! Car
Thermidor est une totalité souvent composée de fragments dont on
n'aperçoit la cohérence dans l'ensemble qu'une fois la tâche menée
à bien. C'est à des « pécheurs » comme Gustav Landauer, qui
aimait dans la révolution la vertu cardinale qui élève les
esprits, que semble répondre la profession de foi d'Ebert, grand
ordonnateur avec Gustav Noske, son âme damnée, de la
Saint-Barthélemy des révolutionnaires : Je hais la révolution
sociale comme le péché, aurait-il dit au prince-chancelier Max de
Bade aux premières heures de la débâcle, avant de se mettre aux
ordres du GQG.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Ebert-Noske-Scheidemann —
c'est le premier maillon d'une chaîne de causalités qui nous mène
à Hitler. Certes, bien qu'ils aient largement ouvert la route à cet
anticommuniste primaire, secondaire et totalitaire, les dirigeants
sociaux-démocrates ne furent pas épargnés le moment venu. Mais que
le minotaure, qui ne fait pas dans la nuance, ait dévoré nombre de
ceux qui lui amenèrent ses proies à demeure témoigne tout au plus
de son aveugle voracité et non de l'innocence de ces sacrificateurs,
eux-mêmes créatures dociles du système de production qu'ils ont
accepté de servir.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span>
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.05cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Et qu'ils servent toujours avec
la même ferveur, comme s'en vantent les héritiers qui, après
s'être fort opportunément débarrassés du marxisme, se sont
naturellement convertis à l'ébertisme. Tout pouvoir moderne ne
procède-t-il pas de ce même acte d'allégeance qu'Ebert fit au
chancelier du Reich, en bon représentant de l'ordre social ? En
témoigne Franz Müntefering, alors président du SPD, qui, invité à
prononcer le discours inaugural à l'occasion de la réouverture de
la Karl-Marx-Haus à Trèves, rendit un hommage appuyé à son
véritable prédécesseur et inspirateur en des termes sans équivoque
: « Que <span style="font-style: normal;">ce </span>soit la Fondation
Friedrich Ebert qui gère ce musée et ce centre d'études est un
argument supplémentaire. Car Friedrich Ebert, le démocrate et
social-démocrate, qui a misé sur la force créatrice de l'État et
non sur la révolution et l'anarchie <i>[der auf diegestaltende Kraft
des Staates setze und nicht auf die Revolution und Anarchie], </i>qui
a cru en la force des réformes, m'est beaucoup plus proche que le
philosophe Marx<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote28sym" name="sdendnote28anc"><sup>xxviii</sup></a>
». Notre bureaucrate couleur du temps pouvait-il rendre plus grand
hommage au « philosophe Marx » ! On le voit, sur ce plan au moins,
Marx occupe désormais avec Landauer la même place dans la mémoire
de la contre-révolution, ce haut lieu de la culture
sociale-démocrate que hantent désormais tous les instruments
dociles de cette force créatrice de l'État qui a imprimé sa marque
sur toutes les épopées sanglantes de l'histoire.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.01cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Tel est le point aveugle de
l'histoire, caché aux yeux du commun des mortels par ceux qui ne
sauraient laisser regarder la vérité en face sans être eux-mêmes
aveuglés. « La révolution » est en premier lieu le dévoilement
de ce secret et la démocratie le couvercle qui le dérobe à notre
vue. Et que soulèvent, chacun à leur manière, Marx et Landauer
enfin réconciliés par la même infortune : celle d'être reconnus
pour ce qu'ils ne furent point et pour ce qu'ils auraient refusé
d'être s'ils avaient pu voir ce qu'on risquait de faire d'eux.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Ainsi nous ouvrent-ils la voie
qu'il nous faut emprunter pour redonner un sens au mot « révolution
» : apprendre à rompre, comme certains tournèrent hier le dos au
marxisme, avec tout le fatras « libertaire » qui fait de la
Subversion un des services publics les mieux fréquentés de la
culture, et de la mémoire des avant-gardes le lieu de passage obligé
de tous les nouveaux conformismes. La rébellion contre l'ordre moral
ne trouve rien à redire à ce qui conforte l'ordre social en lui
fournissant l'argument sans réplique : le « droit de vote », clef
de voûte de l'esprit thermidorien car, en dernière analyse, il
réduit le système démocratique au droit que possèdent les masses
d'élire, à des périodes déterminées, des chefs auxquels elles
doivent dans l'intervalle une obéissance absolue au nom même du
principe qui était censé fonder leur liberté.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.02cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 1.02cm;">
<span style="font-size: small;">LA RÉVOLUTION ET LA MORT</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.5cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Il n'était pas dans notre
intention de suivre ici Gustav Landauer dans sa vie et dans tous ses
combats. L'ouvrage d'Eugene Lunn offre dans ce domaine la meilleure
introduction qui soit. Nous avons voulu simplement dégager de cet
écrit, <i>La Révolution, </i>ce qui nous paraît en être l'idée
principale pour la confronter avec ce qu'elle est devenue dans notre
société, et pour montrer comment, sans même qu'il soit besoin de
s'y référer, elle est restée gravée dans les esprits, pour le
meilleur et pour le pire. Aussi nous sommes-nous efforcé d'éclairer
le meilleur pour bien comprendre en quoi peut consister aujourd'hui
le pire, et pourquoi <i>ce </i>pire contredit l'esprit et la forme de
ce que nous enseigne Landauer. C'est la spécificité de la
contre révolution actuelle que des rapprochements qui défient
l'imagination passent pour aller de soi : Marx ou Spinoza, la
Révolution surréaliste ou Gustav Landauer, nul n'échappe à la
règle, à ce que Constantin Brunner appelait « le scandale du
siècle : l'enterrement du vivant par les morts ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.46cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">On ne peut parler de Gustav
Landauer sans dire un mot de sa fin qui est comme le couronnement
tragique de son rêve utopique, le dernier acte de cette œuvre que
fut son combat pour le socialisme. Nous avons vu que la Révolution
est moins, à ses yeux, un événement, une séquence historique
marquant le basculement d'une certaine histoire, que le principe
spirituel qui unit l'arbre de vie à l'arbre de l'art et qui fait de
la mort une œuvre d'art. Cet esprit de changement radical, il essaie
de l'insuffler dans le mouvement révolutionnaire quand il est porté
un très court instant, avec Erich Mühsam, à un poste de
responsabilité dans la république des conseils de Bavière qui
s'est formée, en réponse à l'assassinat de Kurt Eisner. Les
réformes qu'il rêve d'introduire dans l'organisation de
l'université et les rapports entre enseignants et étudiants peuvent
susciter quelque réserve quand on les réduit à leur principe
élémentaire : le régime de l'instruction et de l'éducation ne
doit obéir qu'au seul esprit de liberté ; « l'enseignement de
l'histoire, cette ennemie de la civilisation, est supprimé ». Ce
n'était à vrai dire qu'une aspiration, et Landauer savait quand il
était besoin mesurer son rêve à la réalité.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.46cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Mai 1919. La révolte est noyée
dans le sang<a class="sdendnoteanc" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote29sym" name="sdendnote29anc"><sup>xxix</sup></a>.
Gustav Noske, « fasciste » avant la lettre, et fidèle à «
l'idéal militariste qu'il sert » comme à la pensée
contre-révolutionnaire incarnée par la social-démocratie,
félicitera ensuite le commandant de cette armée blanche : la «
discrétion » et l'efficacité avec lesquelles il avait mené la
reprise <span style="font-style: normal;">en</span><i> </i>mains
étaient en tous points dignes d'éloges.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Gustav Landauer, qui a pourtant
pris ses distances, est rattrapé par la répression. Il est abattu à
coups de crosse avant de recevoir le coup de grâce. « Achevez-moi !
Et dire que vous êtes des hommes ! », aurait-il lancé en défi à
ses bourreaux, avec la certitude de ne pas être épargné.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.45cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Le principe de vie de la
Révolution était mort. Landauer ne pouvait lui survivre, et sans
doute ne le voulait-il pas. Il l'avait écrit dans <i>La Révolution
: </i>sans cette « régénération positive, nous ne pourrions pas
continuer à vivre et il nous faudrait sombrer » !</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-top: 0.45cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-left: 0.38cm; margin-top: 0.45cm;">
<span style="font-size: small;"><i>« La barque de l'amour s'est
brisée contre la vie courante. »</i></span></div>
<div align="CENTER" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; margin-left: 0.38cm; margin-top: 0.45cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.73cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Quelques années plus tard,
c'était au tour du poète russe Vladimir Maïakovski de parler de
naufrage à la veille de son suicide. Il avait lui aussi placé tous
<i>ses </i>espoirs dans la révolution, celle d'Octobre en
l'occurrence, et l'horloge qui bientôt allait marquer minuit dans ce
siècle lui annonçait qu'il était temps de prendre le large.</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.73cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0.73cm; text-indent: 0.38cm;">
<span style="font-size: small;">Notes: </span></div>
<div id="sdendnote1">
<ol><div class="sdendnote" style="text-indent: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote1anc" name="sdendnote1sym">i</a></span><span style="font-size: small;">
</span><span style="font-size: small;">Sur le rapport critique de Martin Buber et
de Gustav Landauer à la pensée de Marx, voir Avraham Yassour, «
Martin Buber. Critic of Karl Marx », </span><span style="font-size: small;"><i>Études
de marxologie, </i></span><span style="font-size: small;">n° 3o-31, juin-juillet
1994, p. 181-198 ; « Gustav Landauer. The Man, the Jew and the
Anarchist » (texte polycopié). Congrès international sur P.
Kropotkine, 1992 (p. 1-53). Le messianisme romantique de Landauer a
également attiré l'attention du chercheur Michael Lôwy.</span></div>
</ol>
</div>
<div id="sdendnote2">
<ol><div class="sdendnote" style="text-indent: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote2anc" name="sdendnote2sym">ii</a></span><span style="font-size: small;">
</span><span style="font-size: small;">Eugene Lunn, </span><span style="font-size: small;"><i>Prophet
of Community. The Romantic Socialism of Gustav Landauer, </i></span><span style="font-size: small;">University
of California Press, Berkeley-Los Angeles-London, 1973.</span></div>
</ol>
</div>
<div id="sdendnote3">
<ol><div class="sdendnote" style="text-indent: 0cm;">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote3anc" name="sdendnote3sym">iii</a></span><span style="font-family: Verdana, sans-serif; font-size: small;"><i>
</i></span><span style="font-family: Verdana, sans-serif; font-size: small;"><i>Ibid.
</i></span><span style="font-family: Times New Roman, serif; font-size: small;">Lettre
à Constantin Brunner, juin 1905.</span></div>
</ol>
</div>
<div id="sdendnote4">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote4anc" name="sdendnote4sym">iv</a>K.
Marx, <i>Philosophie, </i>Paris, Gallimard, Folio essais, 1996, p.
326.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote5">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote5anc" name="sdendnote5sym">v</a></span><span style="font-size: small;">K.
Marx, </span><span style="font-size: small;"><i>La Question juive (1843), Œuvres III,
Philosophie, </i></span><span style="font-size: small;">Paris, Gallimard, Bibliothèque
de la Pléiade, 1982, p. </span><span style="font-size: small;"><i>371.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote6">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote6anc" name="sdendnote6sym">vi</a></span><span style="font-size: small;">Voir
K. Marx, </span><span style="font-size: small;"><i>Critique de la philosophie politique
de Hegel (1843), op. cit., </i></span><span style="font-size: small;">et notamment tout
ce qui concerne la société civile et l'État.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote7">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote7anc" name="sdendnote7sym">vii</a></span><span style="font-size: small;">Augustin
Thierry, Œuvres</span><span style="font-size: small;"><i>, </i></span><span style="font-size: small;">VII,
</span><span style="font-size: small;"><i>Récits des temps mérovingiens, précédés
de Considérations sur l'histoire de France, </i></span><span style="font-size: small;">Paris,
Garnier frères, 1840, p. 113 </span><span style="font-size: small;"><i>sq.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote8">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote8anc" name="sdendnote8sym">viii</a>
</span><span style="font-size: small;">Sur le rapport Landauer-Marx, voir la thèse d'Eugene
Lunn, et notamment les pages 59-74 et 200-209. Gustav Landauer,
</span><span style="font-size: small;"><i>Aufruf zum Sozialismus </i></span><span style="font-size: small;">(1911),
Berlin, 1919.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote9">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote9anc" name="sdendnote9sym">ix</a></span><span style="font-size: small;"><i>Ibid.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote10">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote10anc" name="sdendnote10sym">x</a></span><span style="font-size: small;">Le
texte de Pierre Leroux, paru dans la </span><span style="font-size: small;"><i>Revue
sociale </i></span><span style="font-size: small;">d'août-septembre 1847, a été
repris dans l'édition conçue et réalisée par Miguel Abensour :
Étienne de La Boétie, </span><span style="font-size: small;"><i>Le Discours de la
servitude volontaire, </i></span><span style="font-size: small;">Paris, Payot, 1976.
Les pages que Landauer a consacrées au texte de La Boétie figurent
également dans cette édition, dans une traduction de Jacques
Laizé.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote11">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote11anc" name="sdendnote11sym">xi</a>
</span><span style="font-size: small;">K. Marx, </span><span style="font-size: small;"><i>La Sainte Famille, op.
cit., </i></span><span style="font-size: small;">p. 56o. Voir également notre Notice à
l'ouvrage de Maximilien Rubel, </span><span style="font-size: small;"><i>Karl Marx
devant le bonapartisme, </i></span><span style="font-size: small;">in K. Marx, </span><span style="font-size: small;"><i>Les
Luttes de classes en France, </i></span><span style="font-size: small;">Paris,
Gallimard, Folio histoire, 1994, p. 601 </span><span style="font-size: small;"><i>sq.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote12">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote12anc" name="sdendnote12sym">xii</a></span><span style="font-size: small;">K.
Marx, </span><span style="font-size: small;"><i>La Question juive, op. cit., </i></span><span style="font-size: small;">p.
357.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote13">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote13anc" name="sdendnote13sym">xiii</a></span><span style="font-size: small;">Annexe
au numéro spécial des </span><span style="font-size: small;"><i>Cahiers de discussion
pour le socialisme de conseils, « </i></span><span style="font-size: small;">Conseils
ouvriers et utopie socialiste », Paris, novembre 1968. Voir
également notre article, « Lire Gustav Landauer », </span><span style="font-size: small;"><i>Études
de marxologie, </i></span><span style="font-size: small;">n° 57, octobre 1974, p.
1545-1562. Sur de nombreuses questions, nous n'avons pas su alors
établir la distance critique nécessaire pour éclairer les points
aveugles de la réflexion de Landauer et la resituer de manière
adéquate dans son histoire pour en comprendre la place dans notre
histoire. Nous nous efforçons ici de répondre à ce qui était
resté en suspens.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote14">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote14anc" name="sdendnote14sym">xiv</a>K.
Marx, <i>La Question juive, op. cit., </i>p. 359.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote15">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote15anc" name="sdendnote15sym">xv</a>Cité
par Eugene Lunn, <i>op. cit., </i>p. m.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote16">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote16anc" name="sdendnote16sym">xvi</a></span><span style="font-size: small;">C'est
ainsi que pour conforter sa thèse sur Rome, l'hitlérisme et le
judaïsme, Simone Weil ne craint pas de déclarer : « Les hommes de
la Révolution ne se seraient pas laissé si facilement tenter par
la guerre de conquête s'ils n'avaient pas été nourris des
écrivains latins et de Plutarque [...] » (« Quelques réflexions
sur les origines de l'hitlérisme », in </span><span style="font-size: small;"><i>Écrits
historiques et politiques, </i></span><span style="font-size: small;">Paris, Gallimard,
1979, p. 54-55). La Révolution et les Hommes réduits à des
abstractions, on peut tout ignorer des luttes qui opposèrent
Robespierre aux Girondins, partisans de la guerre, et ne plus parler
que de Napoléon et de Louis XIV. Ainsi va « la Révolution »
quand elle est détachée de la « matière » historique et des
hommes ordinaires, ce que Marx s'est bien gardé de faire. Simone
Weil a d'ailleurs su rendre à certains hommes de la Révolution ce
qui ne revient pas à d'autres. Ainsi en est-il des lignes qu'elle
consacre à Robespierre dans un « Fragment sur la guerre
révolutionnaire », qui date de fin 1933. « La guerre de 1792 n'a
pas été une guerre révolutionnaire », dit-elle, mais « une
manœuvre de la cour et des Girondins pour briser la Révolution,
manœuvre à laquelle Robespierre, dans son magnifique discours
contre la déclaration de la guerre, tenta vainement de s'opposer »,
discours à mettre en rapport avec celui « qui a immédiatement
précédé sa mort », et qui fait preuve d'une même « étonnante
lucidité ». Un éclairage qui tranche sur la lumière dont les
nouveaux thermidoriens entourent aujourd'hui la Révolution
française, et notamment le rôle de Robespierre (Simone Weil, </span><span style="font-size: small;"><i>op.
cit., </i></span><span style="font-size: small;">p. 240-241).</span></div>
</div>
<div id="sdendnote17">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote17anc" name="sdendnote17sym">xvii</a></span><span style="font-size: small;">Simone
Weil, « Y a-t-il une doctrine marxiste ? », in </span><span style="font-size: small;"><i>Oppression
et Liberté, </i></span><span style="font-size: small;">Paris, Gallimard, 1955, p.
232-233.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote18">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote18anc" name="sdendnote18sym">xviii</a></span><span style="font-size: small;">Ibid.,
</span><span style="font-size: small;"><span style="font-style: normal;">p. 249.</span></span></div>
</div>
<div id="sdendnote19">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote19anc" name="sdendnote19sym">xix</a></span><span style="font-size: small;"><i>
</i></span><span style="font-size: small;"><i>Ibid., </i></span><span style="font-size: small;"><span style="font-style: normal;">p.
245.</span></span></div>
</div>
<div id="sdendnote20">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote20anc" name="sdendnote20sym">xx</a></span><span style="font-size: small;">Gracchus
Babeuf, « Quoi faire », </span><span style="font-size: small;"><i>Le Tribun du
peuple, </i></span><span style="font-size: small;">n° 36, ici décembre 1795.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote21">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote21anc" name="sdendnote21sym">xxi</a></span><span style="font-size: small;">Jean-François
Lyotard, </span><span style="font-size: small;"><i>Économie libidinale, </i></span><span style="font-size: small;">Paris,
Éditions de Minuit, 1974, p. 236.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote22">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote22anc" name="sdendnote22sym">xxii</a></span><span style="font-size: small;">Cornelius
Castoriadis, « Les divertisseurs », </span><span style="font-size: small;"><i>Le
Nouvel Observateur, </i></span><span style="font-size: small;">20 juin 5977. - La liste
serait longue des « nouveaux divertisseurs » dont la fonction
consiste à découvrir au bon moment ce que nul ne pouvait ignorer
depuis des décennies. La critique à retardement est aujourd'hui le
passage obligé des représentants de cette feinte-dissidence —
nous en épinglons quelques spécimens dans le </span><span style="font-size: small;"><i>Tombeau
pour le repos des avant-gardes — </i></span><span style="font-size: small;">qui n'en
finissent pas d'apporter la preuve de leur présence d'esprit :
rechercher dans les salles des musées les tableaux qu'ils n'y
avaient pas vus la veille. Illumination tardive qui est la meilleure
manière d'occulter les véritables raisons de la cécité partagée
entre les divers courants du Thermidor moderne.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote23">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote23anc" name="sdendnote23sym">xxiii</a></span><span style="font-size: small;">Pascal,
</span><span style="font-size: small;"><i>Pensées </i></span><span style="font-size: small;">I. Édition
de Michel Le Guen, Paris, Gallimard, Folio, 1977, p. 90 </span><span style="font-size: small;"><i>sq.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote24">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote24anc" name="sdendnote24sym">xxiv</a></span><span style="font-size: small;">Paul
Mattick, </span><span style="font-size: small;"><i>Marx et Keynes. Les limites de
l'économie mixte </i></span><span style="font-size: small;">(1969), Paris, Gallimard,
1972, p. 403 </span><span style="font-size: small;"><i>sq.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote25">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote25anc" name="sdendnote25sym">xxv</a>Cornelius
Castoriadis, « Les divertisseurs », <i>op. cit.</i></span></div>
</div>
<div id="sdendnote26">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote26anc" name="sdendnote26sym">xxvi</a>Maximilien
Rubel, <i>Marx critique du marxisme. Essais, </i>Paris, Payot, 1974.
Ouvre rééditée en collection de poche (Payot, 2000), préface de
L. Janover, « Maximilien Rubel, une œuvre en trop ».</span></div>
</div>
<div id="sdendnote27">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote27anc" name="sdendnote27sym">xxvii</a>Rosa
Luxemburg, <i>Réforme sociale ou Révolution </i>(1898), Paris,
François Maspero, 1969, p. 75.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote28">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote28anc" name="sdendnote28sym">xxviii</a>Discours
de Franz Müntefering, 9 juin 2005, disponible sur le site web du
SPD.www.spd.de.</span></div>
</div>
<div id="sdendnote29">
<div class="sdendnote">
<span style="font-size: small;"><a class="sdendnotesym" href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3698548955763858330#sdendnote29anc" name="sdendnote29sym">xxix</a>Sur
cet épisode sanglant, on lira, avec les précautions que requiert
l'orientation politique de l'auteur, l'ouvrage monumental de Jacques
Benoist-Méchin, <i>Histoire de l'armée allemande, t. 1, « </i>De
l'armée impériale à la Reischswehr (1918-1919) », Paris, Albin
Michel, 1936, p. 301-338. Au-delà de la personnalité de Noske et
d'Ebert, dont il brosse les portraits de main de maître,
Benoist-Méchin dresse un constat d'autant plus accablant sur le
rôle et la responsabilité des chefs de la social-démocratie dans
la contre-révolution en Allemagne qu'il ne cèle pas ses sympathies
pour les défenseurs de l'Ordre. Signalons la brochure, d'esprit
anarchiste, éditée par le groupe Flores-Magon, <i>La République
des conseils de Bavière (1919), </i>Partage noir, sans lieu ni
date.</span></div>
</div>
Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-65084362286902424522011-08-02T01:16:00.000-07:002011-08-02T01:31:43.860-07:00Quand la carotte ne suffit plus...<blockquote align="justify">" Quelle était, conséquemment, la direction à suivre ? Nous le dirons avec les mots d’un journaliste, puisqu’un grand philosophe enseigna, voilà plus d’un siècle et demi, que « dans l’opinion publique, il y a tout le vrai et tout le faux », et puisque les journalistes sont spécialistes en opinions publiques et privées : « … Nombre de symptômes politiques, syndicaux et culturels — a écrit alors Nicola Adelfi dans Epoca — donnent à penser que cette situation va durer (…), on ne voit pas comment la vague de violence pourrait se briser ou même seulement s’atténuer. À moins qu’il ne survienne quelque fait imprévisible et de nature traumatique : je veux dire quelque chose qui, à l’improviste, secoue profondément l’opinion publique et lui donne la sensation de se trouver désormais à un pas de l’anarchie, et de son inséparable compagne, la dictature. » ", Censor (alias G. Sanguinetti), <a href="http://debordiana.chez.com/francais/censor.htm#6">Véridique rapport sur les dernières chances de sauver le capitalisme en Italie</a>, 1975.</blockquote><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi4UgUIrDIxdbLnFmGBbB_Pq1EwCTpAlSx1s7wfj5PwZIN9xmITCBbuzpqUpIuGcGMeZSavpwaqygiDBC-2JKA4NMghk8lSXfsBIgnSCyfClQvW3vBQX_I9niFi2LLnT9bMMBwknX4OxzA/s400/Gare+de+Bologne+apr%C3%A8s+l%27explosion.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="209" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi4UgUIrDIxdbLnFmGBbB_Pq1EwCTpAlSx1s7wfj5PwZIN9xmITCBbuzpqUpIuGcGMeZSavpwaqygiDBC-2JKA4NMghk8lSXfsBIgnSCyfClQvW3vBQX_I9niFi2LLnT9bMMBwknX4OxzA/s320/Gare+de+Bologne+apr%C3%A8s+l%27explosion.jpg" width="320" /></a></div><div align="justify"><br />
<br />
"L'ATTENTAT A LA BOMBE DE LA GARE DE BOLOGNE AU MATIN DU 2 AOUT 1980.<br />
<br />
Suite à la formidable explosion de la gare de Bologne, deux ans après la mort de Moro, nombre d'Italiens auraient pu se faire des cheveux blancs - non seulement à cause du macabre bilan de 85 morts et 200 blessés mais aussi de l'inertie des autorités qui s'ensuivit. Bien que les magistrats instructeurs aient suspecté des néofascistes, ils furent incapables d'émettre des mandats d'arrêt crédibles pendant plus de deux ans, à cause de fausses informations fournies par les services secrets. A cette époque, parmi les cinq principaux suspects, dont deux avaient des liens avec le SID, tous sauf un avaient décampé du pays [Interview avec Jeff Bale, 21 mars 1994.]. Les explosifs T4 trouvés sur les lieux étaient identiques au matériel de Gladio utilisé à Brescia, Peteano et dans d'autres attentats à la bombe, selon la déposition d'un expert devant le juge Mastelloni [Giustolizi, op. cit., p. 14.].<br />
Au procès, les juges mentionnèrent la « stratégie de la tension et ses liens avec les “puissances étrangères”. » Ils découvrirent aussi la structure civile et militaire secrète liée aux groupes néofascistes, à la P2 et aux services secrets [Willems, op. cit., p. 116.]. Bref, ils découvrirent la CIA et Gladio.</div><div align="justify"><br />
Mais leurs efforts pour rendre une justice véritable dans l'attentat à la bombe de Bologne ne menèrent à rien car, en 1990, la cour d'appel acquitta les « cerveaux » présumés. Gelli, la tête de la P2, fut relâché, de même que deux chefs des services secrets dont les condamnations pour parjure furent annulées. Quatre gladiateurs reconnus coupables de participation à bande armée gagnèrent aussi leurs procès en appel. En cela, Peteano fut la seule affaire majeure d'attentat suivie d'une condamnation du véritable poseur de bombe, grâce aux aveux de Vinciguerra.</div><div align="justify"><br />
</div><div align="justify">Les désolantes minutes judiciaires de ces crimes monstrueux démontrèrent à quel point le réseau Gladio contrôlait l'armée, la police, les services secrets et les principaux tribunaux. Grâce à la P2, et à ses 963 frères bien placés [Ibid., p. 119. Quand la police découvrit la liste des membres en mars 1981, Gelli s'enfuit du pays. Il fut plus tard extradé de Suisse pour figurer au procès de l'attentat à la bombe de la gare de Bologne. Willan, op. cit., p. 209.] , la collusion s'étendait aussi aux plus hauts niveaux des médias et des affaires. "</div><br />
<div align="right">Arthur Rowse </div><div align="right">extrait (13) de 'Gladio : la guerre secrète des Etats-Unis pour subvertir la démocratie italienne'<br />
publié en 1994, traduction (intégrale) en décembre 2009 par </div><div align="right"><a href="http://julesbonnotdelabande.blogspot.com/">http://julesbonnotdelabande.blogspot.com</a></div><div align="right"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg-UnT4IX7b-C74weSvWBI_JaFrJ886GN0WVH3n4UCgW1foZHFnDvYCJktlbxHZX65UkRdeaJRv-yneakPT8TUCVatoY2AuUrzpW5YXXR3DKRCjjvnZFSpKaWcPJlpYI3eerrLMQBwiCbA/s320/P2+Berlusconi.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg-UnT4IX7b-C74weSvWBI_JaFrJ886GN0WVH3n4UCgW1foZHFnDvYCJktlbxHZX65UkRdeaJRv-yneakPT8TUCVatoY2AuUrzpW5YXXR3DKRCjjvnZFSpKaWcPJlpYI3eerrLMQBwiCbA/s320/P2+Berlusconi.png" /></a></div><div align="right"></div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-91290476918686843092011-07-27T13:42:00.000-07:002011-07-27T13:43:54.525-07:00La subordination de la valeur d'usage aux rapports sociaux de production, Tran Hai Hac.<div align="justify">" La méconnaissance du statut marxiste de la valeur d'usage est – comme pour nombre d'autres question théoriques – l'effet de la persistance d'une lecture ricardienne du Capital. Chez Ricardo, ainsi que Marx l'a souligné, la catégorie de la valeur d'usage reste pour ainsi dire « lettre morte » : posée pour la forme au départ comme présupposé de la valeur, elle se trouve aussitôt écartée de l'analyse, la valeur d'échange restant la seule catégorie économique en jeu (74). Critiquant l'auteur des Principes qui croit que l'économie politique « ne traite que des valeurs d’échanges et n'entretient que des rapports exotériques avec la valeur d'usage », Marx souligne la nécessité de développer l’analyse de la valeur d'usage afin que, « contrairement à Ricardo, la valeur d'usage ne reste pas morte comme simple présupposé » (75). Il ne faut imiter ni Ricardo « qui en fait purement et simplement abstraction », ni Say « qui fait l'important en se contentant de présupposer le mot 'utilité' ». Ce qui importe, c'est de mettre en évidence « dans quelle mesure la valeur d'usage ne reste pas seulement une substance présupposée en dehors de l'économie et de ses déterminations formelles , et dans quelle mesure elle y entre » (76). Dans le Capital, la catégorie de la valeur d'usage est tout à fait essentielle à la construction du concept de forme valeur et à la constitution de l'espace économique du capitalisme. Parce que l'économie politique classique fait de la valeur d'usage un simple présupposé, quelque chose d’extérieur à la valeur, la catégorie de la marchandise renvoie exclusivement, chez elle, à la valeur et à la question unique de sa mesure. Par conséquent, l'espace économique du capitalisme y prend la forme d'un espace homogène de valeur. De là son inaptitude à l'analyse des formes économiques, et par suite des contradictions du capitalisme, dont les limites n'apparaissent alors que comme des limites externes posées par la nature à la société (« ne croit-on pas voir, chez Ricardo, la constitution physique de la terre tomber subitement des nues ? », - observe Marx (77) ). De ce point de vue, la théorie classique s’inscrit dans une problématique qui n'est pas différente de celle des néoclassiques.<br />
<br />
A l'inverse, parce que Marx pense la subordination de la valeur d'usage aux rapports sociaux de production – autrement dit, sa subsomption par la valeur -, la catégorie de la marchandise peut être pensée comme unité de la valeur et de la valeur d'usage sous l'effet de la valeur. Le mode de production capitaliste n'est pas réduction de la valeur d'usage à la valeur comme il est dit parfois, mais réduction de l'utilité des objets à la valeur d'usage : il ne produit la valeur que sous la forme de valeurs d'usage, et doit donc produire les valeurs d'usage en tant que porteurs de valeur.<br />
<br />
L'espace économique du capitalisme est celui de la forme valeur structurée contradictoirement par la valeur et la valeur d'usage. La contradiction de la forme valeur tient au statut d'intériorité – extériorité de la valeur d'usage par rapport à la valeur : extérieure en tant qu'objet utile, intérieure en tant que porte-valeur. Cette intériorité – extériorité signifie d'abord que la valeur fait de la valeur d'usage sa forme d'existence, elle réduit l'objet utile au statut de simple porte-valeur. Mais par ailleurs, la valeur d'usage n'est pas réductible à une simple forme d'existence de la valeur, elle déborde toujours son statut de porteur de valeur. Autrement dit, la valeur subsume la valeur d'usage, mais sans parvenir à circonscrire complètement celle-ci. De là, la rupture toujours possible de l'unité de la valeur et de la valeur d'usage, et la tendance de la forme valeur à entrer en crise. En ce sens, la contradiction valeur – valeur d'usage, par laquelle les rapports capitalistes de production se reproduisent, peut aussi conduire à leur éclatement (78). "<br />
<br />
<span style="font-size: x-small;">Notes :</span><span style="font-size: x-small;"><br />
</span><span style="font-size: x-small;">74- Karl Korsch a bien résumé la démarche de Ricardo dans les trois premiers alinéas des Principes de l'économie politique : « Le premier introduit au moyen d 'une citation d'Adam Smith la distinction de la valeur d'usage d'avec la valeur d'échange ; le deuxième fait de la valeur d'usage une prémisse absolument nécessaire de la valeur d'échange ; le troisième écarte une fois pour toutes cette prémisse du champ théorique. », K. Korsch, Karl Marx, Champ Libre, 1971, p. 134.</span></div><div align="justify"><span style="font-size: x-small;">75- Manuscrits de 1857-1858, 2, p. 138 ; 1, p. 259.</span></div><div align="justify"><span style="font-size: x-small;">76- Manuscrits de 1857-1858, 1, p. 208.</span></div><div align="justify"><span style="font-size: x-small;">77- Fondements, 1, p. 215.</span></div><div align="justify"><span style="font-size: x-small;">78- Voir infra, section 62.</span><br />
</div><div align="right">Tran Hai Hac, Relire le Capital, Tome 1, Editions Page Deux 2003, pp. 88-90.</div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-39588660284215050602011-07-25T15:04:00.000-07:002011-07-25T15:04:40.211-07:00Carlo<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhNyJ6SiRvSbe97derf8-68Sr9_IiCpqN4JkdzbTdkGwDsjjpyHmHBlwjyQc1bT2de5twhAQF7YAWIS2nCfwNI4L2cau24ou0V7n20jFgaqCZevsi-tWjWOu74__owdvfrg5VhY2O4Q1jq8/s1600/carloy0m66i.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhNyJ6SiRvSbe97derf8-68Sr9_IiCpqN4JkdzbTdkGwDsjjpyHmHBlwjyQc1bT2de5twhAQF7YAWIS2nCfwNI4L2cau24ou0V7n20jFgaqCZevsi-tWjWOu74__owdvfrg5VhY2O4Q1jq8/s1600/carloy0m66i.jpg" /></a></div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-64624661054590395872011-07-24T03:08:00.000-07:002011-07-24T15:27:45.685-07:00L'incendie millénariste - De l'aspiration au communisme à l'époque féodale<blockquote align="left">«Le premier (temps) a été l'obéissance servile, le second la servitude filiale, le troisième sera la liberté... Le premier a été la crainte, le second la foi, le troisième l'amour. Le premier a été l'âge des esclaves, le second celui des fils, le troisième sera celui des amis.» </blockquote><div align="right">Joachim de Flore, Concordia Novi ac Veteris Testamenti - 1200.</div><div align="justify"><br />
</div><div align="justify"><br />
" La fuite éperdue du monde sur les chemins de Compostelle, le refuge de la prière, l'asile de l'Église, le havre de grâce de la vie monacale n'ont pas été, fort heureusement, les seuls élans des hommes du Moyen-Age vers le salut de la vie éternelle. Un autre courant, tout aussi puissant, a entraîné beaucoup d'entre eux vers un autre désir : la réalisation sur terre du paradis, le retour à l'âge d'or. Ce courant est celui du millénarisme, le rêve d'un <i>Millenium</i>, mille ans de bonheur, autant dire l'éternité, instauré, ou plutôt restauré, sur terre.</div><div align="justify"><br />
A l'encontre de leurs contemporains, les millénaristes n'ont pas pris leurs rêves pour la réalité, ils ont voulu réaliser leurs rêves, ce qui est bien différent et autrement spirituel : jouir enfin de la richesse infinie de l'Esprit. A l'abandon vil , ils ont opposé le refus, l'insurrection, la révolution.</div><div align="justify"><br />
La croyance millénariste se développe sur fond d'apocalypse. L'apocalypse est l'affirmation d'une rénovation décisive : la Jérusalem céleste descendra sur terre. Le mythe se charge de rêves révolutionnaires ou mieux, les rêves révolutionnaires portent en eux le mythe millénariste. Le mythe millénariste est la conscience de soi de ces mouvements, ils y trouvent leur projet, ils y puisent leur langage commun, ils en reçoivent leur raison et plus encore, leur fondement.</div><div align="justify"></div><div align="justify"></div><div align="justify"><br />
</div><div align="justify">Comme la critique de l'État a pu trop souvent rester sur le terrain de la politique, la critique du monde de la religion a pu être, elle aussi, religieuse. C'est le cas pour bien des mouvements millénaristes qui ont tenté de réaliser la religion sans la supprimer si bien que réalisation comme suppression sont restées du domaine de l'imaginaire. Cela a permis à bien des historiens, dont Le Goff, de régler leur compte, vite fait bien fait, à ces mouvements avec toute la satisfaction de la bonne conscience bourgeoise ou stalinienne : « Le désir lancinant que le millénarisme révèle d'aller " au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau" n'arrive pas à imaginer un monde vraiment neuf. L'Âge d'or des hommes du Moyen-Âge n'est qu'un retour des origines. Leur avenir était derrière eux. Ils marchaient en tournant la tête en arrière. »</div><div align="justify"><br />
Les rejeter ainsi dans une sorte d'archaïsme religieux, c'est chercher à mettre ces mouvements en dessous de toute critique, nous commençons à deviner pourquoi. Nous pensons, au contraire, qu'ils furent un, sinon le, moment essentiel de la critique du monde. Pour nous, la critique des mouvements millénaristes se trouve de fait au cœur de la pensée critique moderne.</div><div align="justify"><br />
Des éléments radicaux, les Frères du Libre Esprit, les Révolutionnaires londoniens, les Picards de Bohème, les Anabaptistes de Munster, sont apparus à l'intérieur de ces mouvements qui ont tenté de construire une pratique (et une pensée) qui a mis en péril l'ordre du monde. Leurs limites furent leurs défaites, non dans la pensée, mais dans la mort.</div><div align="justify"><br />
</div><div align="justify">Parler des mouvements millénaristes revient donc à reconnaître cette radicalité dont ils étaient porteurs tout en s'interrogeant sur le pouvoir des représentations religieuses qui, dans la majorité des cas, n'ont pu être dépassées et supprimées. "</div><div align="justify"><br />
</div><div align="right"> Yves Delhoysie & Georges Lapierre, in L'incendie millénariste</div><div align="justify"><br />
</div><div align="justify">Cet extrait introduit L'incendie millénariste, somme historique passionnante sur le mouvement révolutionnaire qui traversa l'Europe médiévale sous la forme de la revendication à la réalisation des milles ans de paradis terrestre. A notre connaissance, l'édition papier d'Os Cangaceiros datant de 1987 est épuisée. Une version électronique est téléchargeable à <a href="http://www.megaupload.com/?d=99BNE5KR">http://www.megaupload.com/?d=99BNE5KR </a></div><div align="justify"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://www.solidariteetprogres.org/IMG/jpg/15_char_de_foin.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://www.solidariteetprogres.org/IMG/jpg/15_char_de_foin.jpg" width="230" /></a></div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-69500850293675052092011-07-23T03:04:00.000-07:002011-07-23T06:50:09.379-07:00L'insurrectionalisme comme fétichisme du choix et symptome de notre époque<div align="justify">" C’est dans cette dynamique que nous sommes tous et toutes embarqués. Dynamique qui produit à l’intérieur des luttes un écart entre le fait d’agir comme classe et le fait que cette « agir comme classe » reproduit les conditions présentes de l’exploitation. Mais pour les insurrectionalistes, cette dynamique exprime quelque chose de plus que la simple réalité actuelle de la lutte des classes. Le problème apparait quand cette dynamique s’autonomise du cours quotidien de la lutte et devient un mode d’emploi général détaché de toutes circonstances particulières, autrement dit la pratique insurrectionaliste se prend elle-même pour la dynamique de ce cycle de luttes au lieu d’en être une simple expression parmi d’autres. C’est finalement en raison de cette substitution que les insurrectionalistes sont en mesure de produire leur propre activité, celui où « un groupe de gens partage une maison et de plus publie des textes contre le système » et en parle comme si « cela serait la communisation en actes », ou encore la révolution immédiate dans laquelle la dynamique de ce cycle de lutte – le fait d’agir comme classe pour défendre sa reproduction et en même temps d’être contraint de remettre en cause et donc d’agir contre sa reproduction de classe – devient une alternative entre deux pratiques concurrentes : celle qui accepte et celle qui refuse la société comme contrainte. C’est donc à partir du choix de refuser la contrainte de se reproduire comme classe dans la société capitaliste que le courant insurrectionaliste exprime le contenu du cycle de lutte actuel mais sous une forme idéologique qui leur permettre d’exister comme groupe distinct du reste de la classe et se référant à sa propre pratique pour définir la révolution. "</div><br />
<div align="right">Amer Simpson</div><br />
<div align="justify">Ceci est un extrait d'une réponse à un texte espagnol (<a href="https://dndf.org/?p=10140">traduit en français</a>) dénonçant l'amalgame entre courant de la communisation et insurectionalisme produit dans la préface d'un recueil hispanophone de textes autour de ces sujets. Pour lire le texte en intégral: <a href="http://dndf.org/?p=10170">http://dndf.org/?p=10170</a></div><div align="justify"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://www.educol.net/supermarche-t7878.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="226" src="http://www.educol.net/supermarche-t7878.jpg" width="320" /></a></div><div align="justify"></div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-70600287237575596382011-07-20T02:27:00.000-07:002011-07-20T02:32:03.234-07:00L'histoire de la contre-culture est-elle la culture du con de l'histoire ?<div align="justify">"Dans notre entreprise de démontage de l’idéalisme bourgeois, il était inévitable de nous arrêter sur une de ses plus efficace et dangereuse imposture idéologique, à savoir sa fausse subversion « contre- culturelle ».<br />
Nous disons efficace et dangereux, car le fait que le point de vue marchand ait, pourtant si significativement, fait de la contre- culture des années 60 son mythe fondateur ne semble aucunement susciter l’interrogation des révolutionnaires folkloriques qui s’en prévalent également, si ce n’est pour en dénoncer boutiquièrement la « récupération ».<br />
Il appartient bien à la contestation spectaculaire de prétendre au monopole du spectacle de la contestation, et l’on croit déjà s’entendre pleurnicher que nous voila prêts à jeter le bébé avec l’eau du bain en prétendant, au contraire, que la « contre- culture » n’est jamais récupérée : elle <u>est</u> une récupération.<br />
Ceci mérite un développement."</div><div align="justify"><br />
</div><div align="right">La sulfateuse, in Contre-culture et capitalisme</div><div align="right"><br />
</div><div align="justify">La suite du développement de la thèse, et le détail historique de cette entreprise consumériste, se trouve dans la brochure (en pdf) <a href="http://www.fichier-pdf.fr/2011/06/21/ccc/ccc.pdf">Contre-culture et capitalisme de la Sulfateuse</a> </div><div align="justify">Ce collectif a aussi commis d'autres écrits (revues, brochures) que l'on trouve sur leur forum <a href="http://la-sulfateuse.forumactif.net/">http://la-sulfateuse.forumactif.net</a></div><div align="justify"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://i20.servimg.com/u/f20/15/50/98/90/210.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="213" src="http://i20.servimg.com/u/f20/15/50/98/90/210.jpg" width="320" /></a></div><div align="justify"><br />
</div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-22931316461750831662011-07-19T04:39:00.000-07:002011-07-19T04:39:19.954-07:00Quand penser, c'est faire - Markus (2)<div align="justify">« La conscience n'est rien d'autre que la conscience de la praxis existante ; cette affirmation se réfère non seulement à la matière dont dérive tout contenu culturel, mais elle rattache aussi les formes de pensée aux attitudes pratiques fondamentales ouvertes aux acteurs typiques du procès historique dans les conditions spécifiques données de leur existence sociale. Et le matérialisme historique qui porte à la conscience cette historicité radicale de toute pensée ne prétend pas surmonter cette même limite par la puissance et par l'action de la seule autoréflexion dialectique, à la manière hégélienne. De façon générale, le projet n'est pas philosophico-théorique (surmonter la finitude humaine en tant que telle) mais pratique : articuler la possibilité d'une praxis sociale radicale et réelle, capable ici et dès maintenant de dépasser les limites historiques concrètes – limites devenues, dans les conditions contemporaines, des <em>obstacles</em> à la « vie » et à la « conscience » des individus vivants concrets : il s'agit du gouffre fatal qui sépare (entre autres) les activités matérielles économiques « égoïstes », dominées par les mécanismes de la propriété privée et de l'échange du marché, des activités prétendument « génériques » du domaine culturel (et politique).</div><div align="justify"></div><div align="justify"><br />
Ainsi, comme nous venons de le montrer, le matérialisme marxien sous tous ses rapports entraine une transformation importante du cadre conceptuel dans lequel les questions sur les « idées », et plus généralement sur toutes les formes de la réalité sociale, doivent être posées. Il ne considère pas les idées comme un genre spécifique de l'existant (<em>seiende</em>), ce qui ferait du problème fondamental un problème de clarification du rapport des idées aux entités ontologiquement ultimes (existant en tant que telles) ; les idées ne sont pas non plus considérées avant tout comme des « représentations », ce qui donnerait un statut fondamental au problème du rapport des idées à leurs objets intentionnels ; elles sont postulées d'emblée comme <em>produits</em> (ou objectivations) d'activités humaines définies et historiquement spécifiques, si bien que la première question à résoudre devient celle du rapport de ce type de « production » à la totalité structurée et différenciée de l’ensemble des activités sociales par lesquelles les hommes reproduisent et changent leurs conditions d'existence et, par suite, se transforment. A cet égard la théorie marxienne de l'idéologie et de la conscience sociale est sous-tendue par une présupposition plus large, celle du <em>caractère paradigmatique de la production matérielle</em> pour la compréhension de toutes les manifestations de la vie sociale humaine. « La religion, la famille, l’État, le droit, la moralité, la science, l'art, etc., ne sont que des formes <em>particulières</em> de la production et tombent sous sa loi générale. » (Marx). »<br />
<br />
</div><div align="right">Gyorgy Markus, in Langage et production (1982, p.73-74)</div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-51479829506644391612011-07-18T07:04:00.000-07:002011-07-18T08:16:10.970-07:00Question de conception - Markus (1)<div align="justify">« Aujourd'hui toutefois il est plus ou moins inévitable de poser la question de savoir dans quelle mesure le paradigme de la production est généralement adapté à l'articulation et à la réalisation de ces intentions théoriques et pratiques. Pour nous en tenir au domaine de la théorie, il existe un certain nombre de faits et de considérations qui semblent exiger un nouvel examen du paradigme même. Tout d'abord, l'histoire de la pensée marxiste semble constamment reproduire une décomposition antinomique du rapport dialectique originel (tel que nous l'avons compris) du subjectif et de l'intersubjectif chez Marx : décomposition (a) en théories d'un « processus sans sujet » (c'est le mérite philosophique d'Althusser d'avoir exprimé cette interprétation du marxisme sous une forme purement théorique, mais il nous semble évident que dans sa tendance fondamentale sa conception est la continuation de la tradition de ce marxisme « scientiste » dont les racines remontent à la IIe Internationale), et (b) en théories du « sujet collectif » (Lukács, Gramsci, Goldmann, etc.). Il est assez apparent que ces deux tendances opposées de la pensée marxiste sont généralement rattachées à des interprétation antithétiques du paradigme de la production lui-même : la première tendance le réduit à la notion de « travail » en tant que processus technologique entre l'homme et la nature, tandis que la seconde lui fait subir une généralisation philosophique excessive par le concept de « praxis » en tant qu'activité d'autocréation humaine illimitée. Et s'il est permis de discuter la conformité de ces deux tendances aux intentions théoriques originales de Marx, il faut admettre que leur résurrection historique constante apparaît comme un signe de tensions internes à la propre théorie de Marx – ou tout au moins que l'on devrait examiner ces tendances dans cette hypothèse. »</div><div align="right"><br />
<br />
Gyorgy Markus, in Langage et production (1982, p.80)</div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-77118884308219006532011-07-16T23:42:00.000-07:002011-07-17T00:59:26.728-07:00Double-bind<div align="justify">" <i>Novissimum organum. </i>- Il est prouvé depuis longtemps que le travail salarié a formé les masses des temps modernes et qu'il a produit l'ouvrier lui-même. En général, l'individu n'est pas seulement le substrat biologique mais aussi la forme que reflète le processus social, et sa conscience de soi en tant qu'être en soi est l'illusion dont il a besoin pour intensifier sa productivité, alors que tout ce qui, dans l'économie moderne, est le résultat de l'individuation, fonctionne comme agent de la loi des valeurs. On pourrait déduire de là non seulement le rôle social, mais la structure interne de l'individu en soi. Ce qui est décisif dans la phase actuelle, c'est la catégorie de la composition organique du capital. Par cette expression, la théorie de l'accumulation entendait "<i>la croissance dans la masse des moyens de production, comparée à la masse de force de travail qui l'anime</i>" (Marx, Le Capital, I). Si l'intégration de la société - du moins dans les États totalitaires - désigne de plus en plus exclusivement les sujets comme moments partiels dans le contexte de la production matérielle, alors la "<i>modification de la composition organique du capital</i>" se prolonge dans les individus affectés et, en réalité, constitués directement par les exigences technologiques du processus de production. La composition organique de l'homme ne cesse ainsi de croître. Ce qui détermine les sujets en eux-mêmes comme instruments de la production et non comme finalités vivantes s'accroît au même titre que la proportion des machines par rapport au capital variable. "</div><div align="right"><br />
Adorno, Minima Moralia.</div><div align="right"><br />
</div><div align="justify">La réification tendancielle de la vie par le capital se heurte, non seulement à la résistance d'une part incompressible du vivant, mais également à la propre nécessité du capital de ne pouvoir établir son fonctionnement que sur une base vive. Le capital, tout en tentant de se faire méconnaitre en se présentant comme source et résultat, évolue dans le paradoxe du parasite: en tuant peu à peu le corps qu'il assèche, il se condamne lui-même à terme. A vider de leur vie les corps qu'il suce, le Vampire programme sa propre disparition. Les mauvais jours finiront.</div><div align="justify"><br />
</div><div align="justify">Petite note en salutation à <a href="http://dissidence.hautetfort.com/">http://dissidence.hautetfort.com</a>, qui semble s'être mis en grève...</div><div align="justify"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://i49.tinypic.com/25rpid5.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="http://i49.tinypic.com/25rpid5.jpg" width="320" /></a></div><div align="justify"><br />
</div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-59488369457182844502011-07-08T04:04:00.000-07:002011-07-09T22:40:55.042-07:00Reconfigurer le temps historique - Postone par Murthy<div style="color: #666666; text-align: justify;">Ce texte de Viren Murthy discute de la "nouvelle" lecture de Marx proposée par Moishe Postone. Nous (re)publions la traduction, précédemment sur le défunt <a href="http://jacquesrie.blogspot.com/">Jacquerie</a>, de cette introduction à un recueil de textes suite à un séminaire sur la pensée du philosophe américain à l’Université de Tokyo, disponible en anglais à <a href="http://utcp.c.u-tokyo.ac.jp/publications/2009/06/history_and_heteronomy_critica/index_en.php">History and heteronomy</a><br />
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Grâce à l'excellent critique <a href="http://palim-psao.over-blog.fr/">Palim-psao</a>, vous pouvez télécharger une<a href="http://sd-1.archive-host.com/membres/up/4519779941507678/Reconfigurer_le_temps_historique.pdf"> version en pdf</a>.<br />
<a name='more'></a></div><div style="color: #666666; text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"><span style="color: #666666;">Dans la première moitié du texte, Viren Murthy trace le chemin qu’entend se frayer Moishe Postone par la critique des lacunes et des impasses du marxisme orthodoxe - fétichisme par l'ontologisation anhistorique de la catégorie travail -, des ‘théories’ post-modernes – fétichisme hors du temps de divers concepts, rendant toute compréhension des spécificités historiques impossible - et de la théorie critique de l’école de Franckfort – traitement subjectif de l’aliénation qui aboutit à la paralysie dans une sorte de scepticisme de la dialectique négative-.</span><br />
<br />
<span style="color: #666666;">Dans la seconde partie, Viren Murthy entre dans le cœur de la lecture postonienne de Marx, axée sur la relation, spécifique à la forme de vie capitaliste, entre temps historique et temps abstrait. Il élucide cette conception de la dynamique d’aliénation au sein du processus d’exploitation, en la confrontant à Georg Lukacs et aux critiques de Peter Osbourne et Christopher Arthur. Cet éclaircissement de ce travail théorique aboutit à poser que le dépassement du mode de production capitaliste ne peut être que le mouvement réel d’abolition de ses catégories, l’abolition du travail salarié tout autant que la fin du capital. </span></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://televisionrulesthenation.files.wordpress.com/2009/01/chaplin_mod_times1_sm.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="247" src="https://televisionrulesthenation.files.wordpress.com/2009/01/chaplin_mod_times1_sm.jpg" width="320" /></a></div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><br />
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<div style="text-align: center;"><span style="font-size: x-large;"><b style="color: #990000;">Reconfigurer le temps historique </b></span><br />
<b>Interprétation de Marx par Moishe Postone</b></div><br />
<div style="text-align: center;">Introduction de History and Heteronomy: Critical Essays (UTCP Booklet 12, 2009)<br />
<br />
<b>par Viren Murthy </b></div><br />
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<br />
<div style="text-align: justify;">Depuis la chute des régimes socialistes d’Etat en 1989 et, peu après, l’orientation de la Chine vers le capitalisme de marché, le socialisme et le marxisme semblent faire résolument parties du passé. Ces sociétés qui paraissaient résister au capitalisme et incarner les espoirs d’une alternative ont toutes capitulé. Leur succès est à présent le plus souvent mesuré à la lumière de leur capacité à développer le capitalisme de marché. Par exemple, tandis que la Russie est critiquée pour sombrer dans des politiques quasi-mafieuses et la corruption, les universitaires, et même des chinois de gauche, ont félicité la Chine de réussir sa transition au capitalisme et de développer une forme alternative d’organisation de marché (1). Dans l'ensemble, les marxistes ont eu une période difficile pour saisir les transformations qui ont eu lieu de la fin des années 1960 jusqu’à présent. En particulier, ils ont été incapables de saisir en critique les sociétés du bloc socialiste et les sociétés capitalistes en tant qu'éléments d'une forme plus globale de domination. En effet, explicitement ou implicitement, les marxistes ont souvent pensé au bloc socialiste comme un type alternatif. <br />
<br />
Après la chute du mur de Berlin, l'absence d'une alternative a poussé beaucoup d'anciens marxistes à abandonner le marxisme et à embrasser des théories comme le post-structuralisme ou le déconstructionnisme. De telles théories semblent présenter l'avantage d'abandonner les récits de totalisation et les grandioses projets d'émancipation humaine. Elles offrent la possibilité d’une critique de la totalisation, de la rationalisation et de la bureaucratisation (souvent compris en vertu de conditions génériques telles la « violence » ou le « pouvoir ») indépendamment qu’elles se soient produites dans les états en apparence socialistes ou imprègnent le capitalisme néo-libéral qui infiltre notre monde aujourd'hui. Bien que de telles théories aient une certaine valeur critique, elles sont généralement incapables de donner sens à la trajectoire historique du vingtième et du vingt-et-unième siècles, et, parce que les partisans du post-structuralisme habituellement ne pensent pas à la domination ou à la libération en termes de dynamiques et de structures globales, leurs idéaux et leurs critiques de la violence ne sont guère plus qu'une certaine forme de libéralisme. <br />
<br />
L'opposition entre l'indétermination historique post-structuraliste et le focus étroit des marxistes traditionnels sur la domination économique a ainsi mené à une impasse. D'une part, nous avons des marxistes qui soulignent les relations de pouvoir concrètes, mais ne réussissent pas à saisir la dynamique globale de domination qui a infiltré à la fois les Etats socialistes doctrinaires et le capitalisme. Au mieux, le marxisme traditionnel se concentre sur les relations de classe dans les états du ‘socialisme réel’ pour développer une critique très restreinte. Dans cette perspective, la domination socialiste apparaît n'avoir aucun rapport avec le capitalisme. D'autre part, les post-structuralistes s’agitent de manière fructueuse en essayant de saisir les larges problèmes liés à la totalisation. Cependant, le point de vue critique du post-structuralisme (on pourrait ajouter ici d'autres post, tels que le post-colonialisme) à un coût important, à savoir l’incapacité de traiter la spécificité historique du capitalisme. Pour développer leurs arguments les post-structuralistes font souvent appel à un certain type de concept quasi-ontologique et souvent transhistorique, tel que la différence, l'autre réprimé, les spectres, … la liste est presque infinie. En conséquence, ils ne peuvent pas même poser la question de savoir si la totalisation et la rationalisation sont intégralement connectées à la modernité capitaliste. En suivant Martin Heidegger et Friedrich Nietzsche, nous trouvons souvent la poursuite post-structuraliste de problèmes de totalité et de métaphysiques chez Platon et Aristote et localisant la violence dans les catégories telles que la présence et la représentation. Avec de telles affirmations, il devient impossible d’examiner si la totalité et la rationalisation se sont constituées en relation à une dynamique historiquement spécifique, à savoir le capitalisme. <br />
<br />
L’interprétation de Moishe Postone de la théorie mature de Marx du capitalisme est significative, précisément parce qu'elle fournit un chemin hors de cette impasse. Par une lecture stricte du Capital de Marx, Postone développe une théorie du capitalisme à un niveau d'abstraction suffisant pour analyser non seulement la logique derrière le socialisme d’Etat, l'Etat après la seconde guerre mondiale et les formations économiques dans les soi-disant démocraties Nord Atlantiques, mais de manière primordiale, son cadre nous permet de saisir la reproduction d'un certain noyau dynamique au cours des différentes phases du capitalisme, telle que la phase libérale, celle fordiste et notre phase contemporaine néo-libérale. En fait, dans la perspective de Postone, les régimes d’état socialistes et le mode capitaliste de l’Etat providence d'après-guerre appartiennent à la même période d'Etat centralisé du capitalisme, également connu sous le nom de période fordiste (des années 30 aux années 70). Cette réponse du capitalisme est devenue désuète au début des années 70, par l'apparition du mode néo-libéral, qui lui-même se trouve à présent dans une crise sérieuse.<br />
<br />
Si Postone se limitait à fournir une théorie pour comprendre notre monde actuel, comme élément d'une plus grande dynamique du capitalisme, il aurait fait une grande contribution, mais cela serait resté très académique - un cadre avec lequel interpréter le monde, plutôt que pour le changer. Mais au coeur du travail de Postone se trouve précisément l’impératif de changer le monde et de fournir pour la première fois la possibilité de la liberté. Postone avance que la possibilité d'émancipation humaine est à la fois exclue et rendue possible par le capitalisme. Pour comprendre ce point, il est utile de situer son travail par rapport aux marxistes traditionnels et aux théories associant Georg Lukács et l'école de Francfort. Puisque le développement de la position de Postone s’est faite en grande partie contre le marxisme traditionnel et à partir de la critique de l'école de Francfort du marxisme traditionnel, je commencerais par une brève esquisse du marxisme traditionnel et de la position de l'école de Francfort. Puis, je présenterais certains aspects centraux du travail de Postone, me concentrant plus spécifiquement sur la façon dont il développe une théorie du temps historique et de l'émancipation humaine en engageant une discussion critique du travail de Georg Lukács. Puis, j'évaluerais brièvement les récentes critiques du travail de Postone par Peter Osborne et Christopher J. Arthur. <br />
<br />
<b>Le Marxisme traditionnel et la possibilité du Socialisme d’émerger du capitalisme.</b><br />
<br />
A la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, les marxistes décrivaient généralement l’histoire en une séquence de stades comprenant l'esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme, le socialisme et le communisme. Ils soutenaient que le socialisme émergerait des contradictions du capitalisme et plus spécifiquement du conflit entre ouvriers et capitalistes. Sous cet aspect, le capitalisme diffère des modes de production précédents parce que les liens politiques et les hiérarchies enserrant les personnes sont dissous. Par exemple, à l'Ouest, les positions du serf et du seigneur ont été renversées et avec l'apparition du capitalisme, les gens ont dû satisfaire leurs besoins par l'achat et la vente de marchandises en échange d'argent. La majorité des personnes dans le capitalisme n'ont rien à vendre excepté leur force de travail et elles la vendent aux capitalistes qui possèdent les moyens de production. Le capitaliste fait une plus-value en achetant le travail sur le marché puis en vendant les produits de ce travail pour un plus grand prix que ce qu'il a payé pour le travail. Il vise à augmenter ses bénéfices et cherche ainsi à extraire autant de travail que possible des ouvriers. Selon cette lecture basique du marxisme, éventuellement, des ouvriers ne tolèrent pas d’être exploités et quand ils se rendent compte qu'ils n'ont rien à perdre sauf les chaînes qui les contraignent à vendre leur travail, ils se révoltent et créent une nouvelle société, dans laquelle les moyens de production sont collectivement possédés par les ouvriers.<br />
<br />
Dans cette perspective, la possibilité du Socialisme est contenue dans les contradictions du capitalisme. Il y a un certain nombre de raisons à ceci. Par exemple, c'est uniquement dans le capitalisme qu’émerge une classe à la fois libre de liens hiérarchiques mais systématiquement exploitée. D'ailleurs, afin d'augmenter la plus-value, les capitalistes développent considérablement technologie et science, mais ceci requiert un nouveau mode de production (ou de nouvelles relations de production), à savoir le Socialisme. <br />
<br />
Cette vue du mouvement du socialisme pose en principe un sujet transhistorique, à savoir le travail, censé être la base de la productivité dans toutes sociétés, mais qui devient conscient de lui-même dans le capitalisme parce que les ouvriers sont libérés des liens hiérarchiques manifestes. En effet, de ce point de vue, l'évolution d'un mode de production à l'autre est en grande partie nécessaire en raison de la productivité croissante du travail. Ainsi dans la perspective du marxisme orthodoxe ou traditionnel, la transition du capitalisme au socialisme est fondamentalement identique à la transition entre tous les autres modes de production. Naturellement, la signification de la négation du capitalisme est supérieure par rapport aux variations précédentes dans le mode de production parce que l'abolition du capitalisme représente la réalisation du sujet historique, à savoir le travail, et cette réalisation est synonyme de l'émancipation humaine, but de l'histoire. <br />
<br />
<b>Réponses de l'école de Francfort et de la lecture de Marx par Postone.</b><br />
<br />
Le marxiste hongrois, Georg Lukács, dans ses premiers travaux, et spécialement les membres de l'école de Francfort, tels Théodore Adorno et Max Horkheimer, ont fait une contribution innovatrice à la théorie marxiste en déliant le capitalisme du cadre étroit de l’analyse de classe et en élargissant leur analyse pour inclure ce que Max Weber appelait la rationalisation. Par conséquent, le marxisme peut maintenant expliquer l'énorme bureaucratie qui a émergé après la Grande Dépression partout dans le monde. Leurs théories différaient de beaucoup de marxistes à leur époque, qui soutenaient les bureaucraties des pays socialistes en clamant que de tels régimes s’opposaient au capitalisme et représentaient la classe ouvrière.<br />
<br />
Dans la vision d'Adorno et d’Horkheimer, les bureaucraties qui enveloppaient le monde étaient réellement les expressions d'une logique, celle de la forme marchandise du capitalisme. En d'autres termes, en suivant Lukács, ils arguent du fait qu’à la fois la légalité moderne et la valeur d'échange, une face de la forme marchandise, impliquent le même type d'indifférence à la particularité. Du point de vue de la valeur d'échange, tout produit peut être échangé pour un autre, puisqu'ils représentent tous des quantités de valeur ; ainsi l'usage spécifique et la particularité des produits sont niées. De même, dans un système légal moderne, les lois fonctionnent indépendamment de la particularité individuelle. Ils affirmaient lors de l'apparition des grandes bureaucraties que cette indifférence à la particularité devenait de plus en plus totalisante. Cependant, ceci les laissa avec un problème, à savoir qu’ils ne pouvaient pas expliquer comment une société post-capitaliste était possible. Puisque Adorno et Horkheimer avaient renoncé au travail comme sujet transhistorique, ils restaient avec peu ou seulement de vagues points de vue sur la manière de résister à la rationalisation totalisante du capitalisme, à l’instar des idées d'Adorno au sujet de la négativité radicale. Les recherches de l’école de Francfort, comme celles des post-structuralistes peuvent être utiles, mais seulement une fois qu’elles sont reliées à la dynamique contradictoire du capitalisme lui-même. Dans l’approche de Postone, une partie clef de cette analyse implique un retour au rôle du travail dans le capitalisme. <br />
<br />
Postone revient à l'oeuvre de Marx pour formuler une théorie capable de suivre Adorno et Horkheimer en fondant le rapport moderne de rationalisation dans le capitalisme, mais il fait écho à Lukács en donnant au travail un rôle central dans son analyse. En d'autres termes, par sa lecture de Marx, Postone montre la manière dont la nature abstraite de la modernité est enracinée dans un nouveau type de médiation par le travail. La toute première ligne du Capital de Marx nous indique que la richesse dans les sociétés capitalistes apparaît comme une immense accumulation de marchandises. Tout dans notre vie, tels les vêtements que nous portons, la nourriture que nous mangeons et les maisons où nous vivons, sont achetés ou loués en tant que marchandises. Ces marchandises sont des produits du travail d'autres personnes que nous devons acheter avec de l’argent que nous gagnons par notre propre travail. C'est un sens dans lequel la vie dans la société capitaliste est médiatisée par le travail. <br />
<br />
Tandis que les marxistes orthodoxes conçoivent le travail trans-historiquement, Postone souligne que le travail dans le capitalisme est historiquement spécifique et que le travail lui-même, plutôt que d’être le point de vue de la critique, doit devenir objet de critique. En d'autres termes, chez Postone, le travail ne remplit pas du tout cette fonction universelle de médiation. Dans la société pré-capitaliste, les liens hiérarchiques étaient souvent plus importants que le travail direct. D'ailleurs, sans nier que les capitalistes et les ouvriers se retrouvent dans un certain nombre de luttes significatives pour des conflits d’intérêt, la logique du capital et la forme marchandise fonctionnent à un niveau plus profond et fournissent les conditions de possibilité de ces luttes. Pour le poser simplement, quand le prolétariat lutte pour de meilleurs salaires ou des horaires de travail plus courts ou même pour de plus grands avantages, ils luttent au sein de l’arène de la production généralisée de marchandises et contre des capitalistes qui visent à augmenter leurs bénéfices. Les limites de telles luttes sont déterminées par la forme valeur et ne sont pas en elles-mêmes un dépassement du capitalisme. Par ailleurs, Postone montre qu’en affirmant son identité de travailleur, le prolétariat réaffirme réellement le caractère fondamental du capitalisme, à savoir la médiation par le travail et la création d'une classe de travailleurs. Nous reviendrons sur ce point vers la fin de cet essai, mais maintenant nous devons noter que, selon Postone, ce qui rend le capitalisme unique n'est pas la formation d'une classe capitaliste, mais l’apparition d'un prolétariat et d'une société médiatisée par le travail. Ainsi la position de Postone nous laisse avec une torsion intéressante de l'expression célèbre de Marx dans le Manifeste communiste, à savoir « l'histoire de toute la société a été jusqu'ici l'histoire de la lutte de classe. » . Selon Postone, le Marx du Capital ne partageait plus une vue si transhistorique des classes. Dans la perspective du Marx mature, la lutte des classes devient une partie centrale de l’histoire seulement au sein du capitalisme. En d'autres termes, les modes de vie pré-capitalistes ne se caractérisent pas par une dynamique totalisante et la classe a une fonction différente dans ceux-ci. Ainsi le terme ‘l’histoire' lui-même doit être compris différemment en analysant la société capitaliste.<br />
<br />
<b>La Temporalité de la plus-value relative et la possibilité de l'émancipation humaine.</b><br />
<br />
Les remarques de Postone au sujet du prolétariat ne le mènent pas au pessimisme au sujet des perspectives de créer une société post-capitaliste. Il ne fonde pas simplement la possibilité de société post-capitaliste dans un mouvement prolétaire ; il localise le potentiel de transformation historique dans les contradictions du capitalisme liées à la production de la plus-value relative. Les lecteurs de Marx sont familiarisés avec l’idée de la plus-value et la célèbre formule AMA', où A se réfère à l'argent avec lequel le capitaliste achète la force de travail marchandisée et A' se réfère à l'argent que le capitaliste obtient après la vente des marchandises produit par le travail. Le capitaliste cherche à maximiser la différence entre la valeur de A et de A', c’est-à-dire la plus-value, et il mentionne deux manières de faire ceci. Une voie est de créer de « la plus-value absolue », ce qui implique d'augmenter la durée du jour de travail, mais ceci fonctionne dans certaines limites naturelles. Par conséquent, la manière plus saillante de créer la plus-value est à travers l'augmentation de la vitesse à laquelle les travailleurs produisent. Les capitalistes font ceci en mettant en application de nouveaux modes d'organisation et en développant l'utilisation des machines et de la technologie, en bref, la création de la plus-value relative.<br />
<br />
La création de la plus-value relative implique une dialectique entre deux sortes de temps, le temps abstrait et le « temps historique ». Dans la société capitaliste, les travailleurs salariés sont payés à l'heure et pour autant que chaque heure est de 60 minutes, nous nous occupons ici de temps abstrait, ou dans les termes de Postone, le temps comme variable indépendante. Postone distingue cette idée du temps comme « variable indépendante », ou temps abstrait, du temps concret, ou temps comme « variable dépendante ». Pour la plupart, le temps comme variable dépendante se rapporte au temps dans les sociétés pré-modernes, où le temps était fonction des changements concrets, tels que les changements de saisons ou le mouvement du soleil.<br />
<br />
Cependant, Postone affirme que le capitalisme lui-même a un type particulier de temps concret, qu’il appelle temps historique. Voici comment Postone décrit ce mouvement dans son livre inaugural, « Temps, travail et domination sociale : Une réinterprétation de la théorie critique de Marx » : <br />
<blockquote>Le mouvement résultant de la détermination substantive du temps abstrait ne peut pas être exprimé en termes temporels abstraits ; il exige une autre armature de référence. Cette armature peut être conçue comme un mode de temps concret. Auparavant, j'ai défini le temps concret comme n'importe quelle sorte de temps comme variable dépendante - une fonction des événements et des actions. Nous avons vu que l'interaction des deux dimensions du travail déterminé comme marchandise est telle que les gains de productivité au niveau social général pousse l'unité temporelle abstraite « en avant dans le temps ». La productivité, selon Marx, se fonde sur le caractère social de la dimension de la valeur d’usage du travail. Par conséquent, ce mouvement du temps est une fonction de la dimension de la valeur d’usage du travail telle qu’elle interagit avec l'armature de la valeur, et peut être compris comme un type de temps concret. En enquêtant sur l'interaction du travail concret et abstrait, qui se trouve au coeur de l'analyse de Marx du capital, nous avons découvert que le dispositif du capitalisme est un mode de temps (concret) qui exprime le mouvement du temps (abstrait). [Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale : Une réinterprétation critique de Marx.]</blockquote><br />
<br />
Le temps concret en tant que temps historique se rapporte au phénomène suivant : en raison du développement de la technologie, une seule heure peut devenir plus dense – le volume qu'on peut et doit produire en un heure augmente. Ces avancées technologiques sont liées à la production de la plus-value relative et de telles augmentations reflètent l’aspect de la valeur d’usage du travail, c’est-à-dire la manière dans laquelle le travail produit de la richesse. Postone se rapporte spécifiquement au passage suivant chez Marx, qui est intéressant de citer complètement parce qu'il aide à expliquer un point crucial, à savoir la distinction entre la valeur et la richesse. <br />
<br />
<blockquote>Une quantité plus considérable de valeurs d'usage forme évidemment une plus grande richesse matérielle ; avec deux habits on peut habiller deux hommes, avec un habit on n'en peut habiller qu'un, seul, et ainsi de suite. Cependant, à une masse croissante de la richesse matérielle peut correspondre un décroissement simultané de sa valeur. Ce mouvement contradictoire provient du double caractère du travail. L'efficacité, dans un temps donné, d'un travail utile dépend de sa force productive. Le travail utile devient donc une source plus ou moins abondante de produits en raison directe de l'accroissement ou de la diminution de sa force productive. Par contre, une variation de cette dernière force n'atteint jamais directement le travail représenté dans la valeur. Comme la force productive appartient au travail concret et utile, elle ne saurait plus toucher le travail dès qu'on fait abstraction de sa forme utile. Quelles que soient les variations de sa force productive, le même travail, fonctionnant durant le même temps, se fixe toujours dans la même valeur. Mais il fournit dans un temps déterminé plus de valeurs d'usage, si sa force productive augmente, moins, si elle diminue. Tout changement dans la force productive, qui augmente la fécondité du travail et par conséquent la masse des valeurs d'usage livrées par lui, diminue la valeur de cette masse ainsi augmentée, s'il raccourcit le temps total de travail nécessaire à sa production, et il en est de même inversement.[Karl Marx, Le Capital, Livre 1, Section 1, chapitre 1, §2 - Traduction Joseph Roy, 1875]</blockquote><br />
<br />
Quand les améliorations technologiques sont sporadiques et limitées à une entreprise ou même quelques entreprises, la moyenne n'est pas affectée à un degré significatif et les entreprises avec la technologie de pointe peuvent profiter ainsi de leur capacité de produire plus rapidement et augmenter leur plus-value. Elles peuvent exploiter plus de force de travail dans une heure donnée que leurs concurrents. Cependant, pour Marx, la tendance de la société capitaliste est la diminution du temps de travail moyen nécessaire pour produire un produit donné parce que les autres entreprises devront augmenter leur taux de productivité pour rester dans les affaires et concurrencer les capitalistes qui ont de plus grandes possibilités technologiques. Dans ce cas-ci, la valeur des produits individuels diminue, suite à la diminution du temps de travail nécessaire moyen requis pour les produire. En conséquence, toute la valeur produite tend à rester constante, puisque est exigé de produire plus pour chaque heure individuelle. Avec l’augmentation de la vitesse moyenne de production, par conséquent, les sociétés doivent produire plus juste pour exister et produire le même montant de valeur, Postone appelle ceci la « l'effet tapis roulant» ou « le tapis roulant dynamique. » <br />
<br />
Le temps historique se rapporte à l'augmentation constante de la productivité créée par les machines et la technologie améliorées. Bien que le montant total de la valeur produite tend à rester constant, la quantité de richesse ou la production de valeurs d’usage augmente. Au début, on pourrait se demander pourquoi la croissance technologique s'appelle « temps historique », mais nous devons garder en tête que pour Postone, les vastes changements historiques du capitalisme libéral, du fordisme puis du mode néo-libéral sont conduits par cette dialectique entre les augmentations de la productivité et la reconstitution des normes de l'heure de travail. Typiquement, lorsque la productivité et la vitesse de production augmentent, cela est cause de crise liée à, entre autres, la surproduction et l'incapacité de réaliser la valeur sur le marché. Pour les traiter, de tels états de crise lancent souvent de nouvelles formes d'organisation politique.<br />
<br />
De telles crises sont souvent liées à la différence entre temps abstrait et temps historique, qui reflète alternativement l'espace entre la valeur, qui est mesuré en termes de temps de travail moyen nécessaire, et richesse, qui se rapporte aux produits concrets ou aux valeurs d’usage produits (et qui doit être acheté/consommé pour reproduire le cycle AMA'). Marx a exprimé la distinction entre la richesse et la valeur, dans la citation ci-dessus, en distinguant la face de la valeur d’usage du travail et la production de valeur. Il est important de noter qu'un gain de productivité augmente la richesse matérielle (stoffliche Reichtum) mais diminue la valeur parce que moins de temps de travail est dépensé. Dans la vue de Postone, cette dialectique entre la richesse et la valeur ou le temps historique et abstrait incarne une contradiction, qui indique finalement la voie d’un nouveau futur. Autrement dit, lorsque la technologie s'améliore, le travail salarié devient désuet, mais en même temps, le mode de production capitaliste est organisé autour de l'exploitation du travail salarié ; la valeur est mesurée en termes de temps de travail. En raison de cette dynamique basée sur l'exploitation, l’accroissement de la productivité par la technologie ne bénéficie pas à l'ouvrier ou aux personnes dans leur ensemble, mais mènent souvent à la crise économique et au chômage. Dans la société capitaliste, le progrès technologique rend le travail salarié moins nécessaire, le résultat normal en est le chômage. Cependant, de tels développements technologiques rendent également le capitalisme – une société organisée autour du travail orienté vers l’industrie, des capitalistes et de la plus-value - désuet et ceci rend possible au peuple de délier les progrès technologiques de la logique de la plus-value et d’organiser démocratiquement la puissance productive au profit de l'humanité, plutôt qu’au profit de la création de plus-value. En ce cas, l'histoire cesse d’être « un tapis roulant dynamique d’aliénation » qui contrôle les vies des personnes ; dans la société post-capitaliste, pour la première fois, faire collectivement l'histoire. <br />
<br />
Cependant, la réalisation de cette possibilité n'est pas une conséquence naturelle de la société du capital ; c'est un projet politique qui doit nier le lien entre temps historique et temps abstrait qui est propre au capitalisme. Nous reviendrons sur ce problème en traitant la critique de Lukács par Postone dans la section finale de cet essai. Mais d'abord, je me tourne vers une critique récente de l'idée de temps historique de Postone, puisqu’à travers la réponse à cette critique, nous pouvons comprendre plus complètement les buts et les paramètres du projet de Postone. </div><br />
<div style="text-align: justify;"><b>Critique de Postone par Peter Osborne.</b><br />
<br />
Récemment, Peter Osborne a critiqué le concept de temps historique de Postone, de la façon suivante : <br />
<blockquote>Postone est équivoque (au pire, simplement contradictoire) au sujet du temps historique. D'une part, il le traite occasionnellement de synonyme avec le temps concret, comme le temps des événements ; d'autre part, il le considére comme le résultat du rapport dynamique entre le temps abstrait (comme temps universalisant du capital) et le temps concret. Dans aucun cas, il ne le situe dans le cadre de l'ontologie complexe de l'humain ; ou ne le théorise par rapport au concept du temps lui-même.(2)</blockquote><br />
La critique d'Osborne devient claire une fois que nous revenons au passage suscité du livre de Postone : « Nous avons découvert qu'un dispositif du capitalisme est un mode dont le temps (concret) exprime le mouvement du temps (abstrait). » Osborne se rapporte à une ambiguïté du texte de Postone entre deux types de temps concrets, à savoir temps concret dans les sociétés pré-capitalistes, où le temps est une fonction des changements concrets, et le temps concret en tant que temps historique dans la société capitaliste. En bref, il affirme que Postone a deux définitions de temps historique dans le capitalisme : à la fois temps concret comme temps des événements et comme résultat d'un rapport dynamique entre temps abstrait et concret. <br />
<br />
Dans la dernière phrase du passage cité ci-dessus, Osborne suggère que Postone n'a pas situé le temps concret ou historique dans l’ontologie de l'humain ou du concept de temps lui-même. Cette remarque montre qu'Osborne a mal compris le projet de Postone, et par conséquent il est utile de commencer par répondre à cette dernière demande, avant de travailler de nouveau sur les complexités sémantiques dans les formulations de Postone. Le projet de Postone évite explicitement des idées telles que « l'ontologie de l'humain » ou « le concept de temps lui-même », puisque son but principal est d’historiciser la production d'ontologie et du concept de temps. Il ne veut pas nier qu'il y a des éléments qui paraissent, à présent, universels à la condition humaine, mais ces éléments ne sont pas le point de vue d'une critique du capitalisme. D'ailleurs, Postone mettrait cette apparence et le type de continuité qu'elle présuppose dans les concepts du temps produits par le capitalisme.(3) <br />
<br />
Le temps historique et le temps abstrait sont spécifiques à la dynamique du capitalisme, plutôt qu’éléments d'une ontologie transhistorique de l'humain. Pour Postone, il n'y a aucune dynamique historique de totalisation avant le capitalisme et par conséquent, on ne peut pas parler de temps historique à ce propos. D'ailleurs, alors que l'on pourrait arguer du fait qu'il y avait des exemples sporadiques de temps abstrait, tels le temps de la physique d'Aristote, un tel concept de temps ne s’est pas généralisé et ne s'est pas développé en un système de domination sociale avant l'avènement du capitalisme. Ainsi, dans l’optique de Postone, il est non seulement incorrect de se rapporter à un concept universel de temps pour la totalité de l'humanité, mais il est aussi probablement fallacieux de supposer que les sociétés pré-capitalistes ont eu un concept de temps gouvernant leurs divers modes de vie. <br />
<br />
Par conséquent, pour comprendre les ambiguïtés associées à l'utilisation du terme de temps concret par Postone, il est utile de se concentrer sur le processus auquel il se réfère. Ce qui distingue le temps historique est précisément qu’il est lié à une augmentation de la productivité que les capitalistes provoquent par la production de plus-value relative. Le temps historique, ou le temps de la plus-value relative, est concret au sens qu'il ne peut pas être saisi par de pures déterminations abstraites telles que l'heure ; il se rapporte plutôt à la manière dont l'heure elle-même devient plus dense avec les avancées technologiques et de la productivité générale. Cependant, ce type de concrétude est unique puisque le mouvement de l'heure dépend de la médiation par le temps abstrait. Sans temps abstrait, il n’y aurait aucune association du tapis roulant dynamique aux contraintes liées au niveau du temps de travail moyen nécessaire. Cette norme abstraite contraint les entreprises soit à quitter les affaires soit à augmenter la productivité. <br />
<br />
Ainsi, quand nous lisons l'expression de Postone, le mouvement du temps « peut être compris en tant qu'une sorte de temps concret », il est important de souligner ce qui est la « sorte » de temps concret ici. En bref, les types de temps concret dans le capitalisme et dans des sociétés pré-capitalistes sont qualitativement différents. Tout d'abord, dans les sociétés précapitalistes, le temps concret ne se rapporte pas à une totalisation dynamique, ni ne se rapporte à une tentative réfléchie de saisir une telle société. En effet, quand nous employons le terme « temps concret » pour décrire les pratiques liées aux sociétés pré-capitalistes, nous le faisons d’un point de vue extérieur à ces sociétés afin d'accentuer la spécificité historique du capitalisme. Dans les sociétés pré-capitalistes, le temps concret a souvent été lié aux divers systèmes symboliques, lesquels livrent la signification des événements et actions, telles que les changements saisonniers. Le temps historique dans le capitalisme, d'une part, est concret une fois comparé au temps abstrait, mais cette concrétude n'est pas vraiment une fonction des événements. En revanche, la concrétude du temps historique dans le capitalisme se trouve dans un processus d'augmentation de la productivité, et ce type de temps est aveugle et n’est pas lié de façon innée à un monde symbolique. D'ailleurs, contrairement au temps abstrait avec lequel nous interagissons au quotidien et utilisons pour placer nos rendez-vous, le temps historique est une dynamique qui forme nos vies sans que nous le notions comme tel. <br />
<br />
Le temps historique dans le capitalisme est toujours déjà médiatisé par le temps abstrait, puisque dans le capitalisme, la richesse est médiatisée par la valeur. Postone discute du temps historique comme la face qualitative du temps parce qu'il représente la production des valeurs d’usage. Cependant, le temps historique nous apparaît en termes quantitatifs, comme augmentation de la quantité de valeurs d’usage ou comme augmentation de la vitesse de production. Cet écart nous renvoie à la possibilité de l'émancipation humaine. Postone note cette dialectique ne doit pas nécessairement toujours régir nos vies. Il affirme qu'on peut produire de la richesse sans la médiation de la valeur. <br />
<br />
<blockquote>La dynamique dialectique [entre temps abstrait et historique],cependant, donne naissance à la possibilité historique que la production basée sur le temps historique peut être constituée séparément de la production basée sur le temps abstrait actuel – et que l'interaction aliénée du passé et du présent, caractéristique du capitalisme, peut être dépassée . [M. Postone, Temps, travail et domination sociale]</blockquote><br />
Comme dans le cas de son examen du temps concret dans le passage suscité, dans ce passage, on doit faire attention à éviter d'être dérouté par les ambiguïtés sémantiques liées au terme « temps historique ». Chez Postone, il n'y a pas de temps historique avant le capitalisme et, en son sein, le temps historique est précisément médiatisé par le temps abstrait. Dans ce cas, qu’est ce que serait une production basée sur le temps historique séparé de la production basée sur le temps abstrait ? En effet, si le temps historique est séparé de la contrainte liée au temps abstrait, il cesserait d'être temps historique tel que nous le connaissons. L'histoire ne serait plus un emballement dynamique de la production de plus-value ; elle deviendrait production pour l'usage médiatisé par le peuple contrôlant collectivement la production. En ce cas, l'histoire cesse d'être une totalisation et une dynamique d’aliénation qui commande les personnes ; dans la société post-capitaliste le peuple crée l'histoire ensemble. <br />
<br />
D'ailleurs, la possibilité que les gens modifient collectivement le temps historique et le portent sous leur contrôle émerge à travers la dynamique d’aliénation du capital, en introduisant pour la première fois une médiation qui lie les personnes à travers le monde. Reconfigurer le temps historique implique un type de re-médiatisation des relations sociales à travers des alliances démocratiques plutôt que par une interdépendance aveugle dans le dos des producteurs. Il y a un certain nombre de conditions qui doivent se rencontrer avant que le peuple ne puisse modifier l'histoire. Par exemple, les gens devraient créer de nouvelles formes d'identité qui facilitent la coopération au-delà des Etats nations, qui ont conditionné l'histoire ces derniers siècles. Dans une certaine mesure, les bases pour de telles nouvelles formes d'identité sont déjà étendues parce que le capital est déjà une dynamique transnationale, qui agit comme le sujet de l'histoire. Mais ici encore, pour que les personnes nient le capitalisme, ils doivent prendre ce qui leur est donné sous la forme aliénée et le porter sous leur contrôle conscient. Ceci implique bien sûr d'établir de nouvelles institutions pour faciliter le type de coordination requis afin de stimuler et développer le contrôle collectif à grande échelle. Ce sont des thèmes qui dépassent la portée de cette introduction, mais je reviens maintenant à un thème principal de la lecture de Marx par Postone, à savoir le rôle de la classe ouvrière niant le capitalisme comme sujet de l'histoire. <br />
<br />
<br />
<b>Comment nie t-on le capitalisme ? : <br />
La critique de Lukács par Postone et le rôle de la classe ouvrière.</b><br />
<br />
La théorie de Postone du capitalisme nous montre la façon dont les contradictions du capitalisme produisent la possibilité d’un type différent de société, pas médiatisée par le travail ni le tapis roulant dynamique. Cependant, il n’est pas clair quel type de pratique politique est nécessaire pour réaliser une telle société. Postone passe beaucoup de temps à se distinguer des marxistes traditionnels, qui confirment la classe ouvrière comme sujet révolutionnaire de l'histoire. Son but principal est de saisir le rôle de la classe ouvrière par rapport à la nature de l'histoire dans le capitalisme. Dans un essai récent sur Georg Lukács, il se concentre spécifiquement sur le problème de l'histoire et du temps par rapport à l'émancipation humaine. Il exprime ses critiques en citant le passage suivant de Lukács, dans Histoire et conscience de classe : <br />
<blockquote>Cette image d'une réalité gelée qui néanmoins est rattrapée dans le mouvement fantomatique ininterrompu devient immédiatement significative quand la réalité est dissoute dans le processus dont l'homme est la force agissante. Ceci peut être vu seulement du point de vue du prolétariat parce que la signification de ces tendances est l'abolition du capitalisme et ainsi lorsque la bourgeoisie devient consciente d’eux, ce sera équivalent au suicide. [Lukács, Histoire et conscience de classe] </blockquote><br />
Postone contraste la position de Lukács de celle de Marx de la façon suivante. <br />
<blockquote>La forme de médiation constitutive du capitalisme, dans l’analyse de Marx, provoque une nouvelle forme de domination sociale - qui soumet le peuple à des impératifs et contraintes structurelles impersonnelles et de plus en plus rationalisés. C'est la domination des personnes par le temps. Cette domination temporelle est réelle, pas fantomatique . [Moishe Postone, “The Subject and Social Theory: Marx and Lukács on Hegel,” dans History and Heteronomy (recueil dont ce texte est l’introduction)]</blockquote><br />
Les problèmes à interpréter le passage ci-dessus de Lukács et de la critique de Postone de celui-ci, sont compliqués par des choix malheureux dans la traduction anglaise de Lukács. Le passage ci-dessus de Lukács serait mieux traduit probablement par <br />
<blockquote>Cette image de mouvement continu et de calme spectral devient significative quand ce calme est dissous dans un processus dont l'homme est la force agissante.(4)</blockquote><br />
En nous basant sur cette traduction, Lukács veut critiquer à la fois les dimensions mobiles et gelées du capitalisme d'un point de vue duquel l'homme est la force moteur. Mais comment devons-nous comprendre la question de savoir si cette domination temporelle est réelle ou spectrale ? Un regard plus attentif sur le passage montre que Lukács serait probablement d’accord avec Postone pour dire que la domination temporelle dans le capitalisme est à la fois réelle et spectrale. <br />
<br />
En traduisant « gespenstischen » par fantomatique, le traducteur enfouit la manière dont Lukács s’appuie sur un passage précis du Capital de Marx. Lukács commence la première section de son essai, « Réification et la conscience du prolétariat » par les remarques suivantes. <br />
<blockquote>L'essence de la structure marchandise a souvent été pointée. Sa base est qu'une relation entre personnes prend le caractère d'une chose et acquiert ainsi « une objectivité spectrale » (gegenständlichkeit de gespenstige). (5) </blockquote><br />
Ici l'objectivité spectrale du terme se rapporte à un passage du Capital de Marx, qui note qu’une fois que nous négligeons la valeur d’usage des marchandises, <br />
<blockquote>tout ce qui reste dans chaque cas est la même objectivité spectrale (gespenstige Gegenständlichkeit), une pure gelée (bloße Gallerte d'eine) du travail humain indifférencié. </blockquote>Ce travail indifférencié est précisément ce que Postone décrit comme travail abstrait, qui est la forme de travail qui médiatise la société capitaliste. « Le ‘travail abstrait’, comme fonction historiquement spécifique de médiation du travail, est le contenu, ou mieux, la ‘substance’ de la valeur ». (13) Dans ce contexte, nous pouvons arguer du fait que le point fondamental de Lukács recouvre ce qui précède dans ce passage du livre de Postone, où il affirme que le temps historique peut être constitué séparément du temps abstrait. Après tout, ceci devrait être une situation dans laquelle l'humanité devient la force d'entraînement de l’histoire, à la fois pour Lukács et Postone. La différence entre les deux se situe dans le fait que, pour Postone, le peuple devient moteur de l'histoire seulement lorsqu’il supprime le travail prolétaire, tandis que dans la perspective de Lukács, le prolétariat réalise ce but de l'humanité. <br />
<br />
Postone souligne que le travail abstrait est la forme et le contenu de la valeur et, ainsi, affirme que le travail est inextricablement lié au capital. D'ailleurs, chez Postone parce que la caractéristique du principe fondamental du capital est la médiation par le travail, on ne peut pas simplement se fonder sur la classe ouvrière pour nier le capitalisme. Ainsi plutôt que réaliser le sujet de l'histoire comme travail, dans la perspective de Postone, les marxistes devraient viser à nier le sujet de l'histoire, à savoir le capital. <br />
<br />
En d'autres termes, pour Postone, plus que le travail, le capital est sujet de l'histoire. Postone explique ce point en faisant une comparaison à l'esprit de Hegel : <br />
<blockquote>Pour Hegel, l'Absolu, la totalité des catégories subjectives-objectives, se fonde par lui-même. Comme « substance » automobile qui est « Sujet », c'est la véritable causa sui aussi bien que le point final de ses propres développements. Dans le Capital, Marx présente les formes fondamentales de la société déterminée par la marchandise comme constituant le contexte social par des notions telles que la différence entre l'essence et l'apparence, le concept philosophique de substance, la dichotomie du sujet et de l’objet, la notion de totalité, et, au niveau logique de la catégorie de capital, le déploiement dialectique du subjet-objet identique.</blockquote><br />
Dans un certain sens, c'est un vrai retournement de Hegel qu’opère Marx dans son esprit, à la différence de Lukács qui remplace le sujet transhistorique d’Hegel, à savoir l'Esprit, par la classe ouvrière. Marx historicise la dynamique de l'esprit de Hegel, en affirmant que la logique que Hegel décrit est réellement la logique du capital. D'ailleurs, selon Postone, le capitalisme est seul à avoir une logique immanente de totalisation, que des penseurs et théoriciens du social transposent de manière anachronique à d'autres périodes afin de développer une « théorie globale de l'histoire ». <br />
<br />
De la perspective de Postone, le capital est un sujet historique qui se comporte de plusieurs manières comme l'esprit de Hegel ; cependant, à la différence de l'esprit de Hegel, le capital est aveugle, se déplaçant vers la productivité croissante. Il est un sujet mais n'a pas de subjectivité, de connaissance, de conscience de soi ni de telos. Récemment, Christopher J. Arthur a expliqué comment quelque chose comme le capital, qui n'a pas de subjectivité, peut être un sujet : <br />
<blockquote>D'un point de vue hégélien, la capacité la plus abstraite d'un sujet, ce qui rend possible sa liberté, est la capacité de mettre les choses sous son concept universel et de les traiter en conséquence. C’est la manière dans laquelle les produits hétérogènes sont posés en principe par le capital comme porteurs de valeur et de plus-value, la substance universelle du capital, et la manière dans laquelle le processus de fabrication est formé afin de maximiser la valorisation, cela signifie que nous sommes ici confrontés à un ‘sujet’, quoique d'un type logique plutôt que de chair et de sang. D'ailleurs, les moments complémentaires de la conscience, du savoir etc., sont fixés pour autant que cette structure de valorisation impose sa logique aux personnifications du capital, à savoir les propriétaires et les managers.(6) </blockquote><br />
Les commentaires d'Arthur sont utiles pour expliquer comment Postone conçoit le capital en tant que sujet, mais il critique Postone pour ne pas avoir reconnu que la classe ouvrière est le contre-sujet de l'histoire, celui qui peut nier le capitalisme.(7) Nous avons vu que Postone rejette la vision de Lukács de la classe ouvrière comme sujet -objet transhistorique. Néanmoins, nous devrions faire une pause avant la conclusion, comme beaucoup de lecteurs de Postone le font, pour préciser que le rejet de Postone du travail comme sujet transhistorique implique un rejet complet du rôle de la classe ouvrière dans la négation du capitalisme. En effet, étant donné que le prolétariat est le producteur primaire de la valeur, il devrait jouer un rôle crucial dans la transformation du capitalisme. Dans son livre, il suggère que dans la logique d'un mouvement concernant les ouvriers et visant au-delà du capitalisme, <br />
<blockquote>il devrait à la fois défendre les intérêts des ouvriers et participer à leur transformation - par exemple, en mettant en question la structure donnée du travail, n'identifiant plus les personnes dans les termes qui structurent et participer à repenser ces intérêts. </blockquote>Ce passage montre que quand nous lisons le travail de Postone, nous ne devons pas sauter de son démenti que le prolétariat est le sujet de l'histoire, à la conclusion qu'il refuse au prolétariat un rôle essentiel dans un mouvement politique allant au-delà du capitalisme. Le problème bien sûr est que le prolétariat doit participer au mouvement paradoxal de se nier lui-même et viser un monde non dominé par le travail prolétaire. Ils doivent se rendre compte qu'ils font partie de la solution seulement dans la mesure où ils reconnaissent qu'ils font partie du problème. Cependant, c’est précisément parce qu'ils sont une partie fondamentale du capitalisme qu'ils doivent être une partie intégrale de toute tentative de surmonter le capitalisme. <br />
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<b>Conclusion </b><br />
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Le livre de Postone, Temps, travail et domination sociale : Une réinterprétation de la théorie critique de Marx, a été édité la première fois en 1993 quelques années après la chute du mur de Berlin. Et, depuis lors, la pertinence des idées de ce travail et de la théorie de Postone en général est devenue plus évidente. Alors que j'écris cette introduction, les personnes à travers le monde font face à une crise du capitalisme global. Les explications de cette crise varient, mais étant donné l'augmentation des licenciements et du chômage, il semble clair que la contradiction que Postone met en lumière de manière répétée, à savoir celle de la dynamique du capital rendant le travail prolétaire en même temps nécessaire et désuet, joue un rôle important. La question à l'avenir demeure la façon dont un mouvement politique pourrait saisir l'occasion dans une telle crise de transformer la dynamique qui domine nos vies et se moque des idéaux de démocratie et de liberté. Le travail de Postone montre que l'espoir pour la démocratie ne se situe pas dans les seules réformes institutionnelles, mais dans l'action politique visant à nier les processus antidémocratiques qui propulsent et détruisent les organisations contemporaines. Un tel appel peut paraître utopique, mais il est en fait nécessaire. Comme Christopher J. Arthur l’a pointé, la dynamique du capitalisme exploite constamment la nature et le travail humain, et sera surmontée à court terme par la révolution ou à long terme par le désastre écologique(8). Le dernier résultat en un certain sens serait le triomphe final de l’hétéronomie, puisque les conditions pour la vie humaine n'existeraient plus. Le travail de Postone représente une tentative de poser des fondements pour réaliser la première possibilité et créer un chemin hors de l'histoire hétéronome. </div><br />
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<div style="text-align: right;">Viren MURTHY <br />
Université d'Ottawa</div><span style="font-size: small;"><br />
</span><span style="font-size: small;"><b style="color: #666666;"><u>Notes:</u></b><br style="color: #666666;" /><br style="color: #666666;" /><span style="color: #666666;">(1) Voir par exemple, Zhiyuan Cui et Roberto Mangabeira Unger, la « Chine dans le miroir Russe », dans The New Left Review, vol. 208, novembre 1994, 78-87. Cet essai plaide contre le « fétichisme institutionnel » en traitant de la Chine et la Russie, en revendiquant d’aller au delà de la dichotomie du plan et du marché. Bien qu'utile, l'essai n'offre pas de catégories pour comprendre les différences des réponses de la Chine et de la Russie dans les grandes transformations historiques du capitalisme.</span></span><br />
<div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;"><br />
(2) Peter Osborne, “Marx and the Philosophy of Time”, Radical Philosophy 147 January/ February 2008, pp. 15-22, 19.<br />
</span></div><div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">(3) La mauvaise interprétation de Peter Osborne est étonnante puisque ses ouvrages soutiennent souvent une incroyable ressemblance à Temps, travail et domination sociale de Postone. En particulier, il semble également vouloir historiciser la production de la continuité du temps. Dans son livre, La politique du temps, il critique « l’historicisme » qui « rétablit une continuité abstraite avec le passé sous une forme naturalisée et purement chronologique ». (The Politics of Time: Modernity and Avant-Garde, (London and New York: Verso, 1995), p. 140). Il discute aussi cette forme de continuité en faisant une analogie entre l'argent et le temps abstrait dans le capitalisme. Les invocations d'un concept de temps en soi semblent présupposer une telle continuité abstraite. D'ailleurs, comme Postone, Osborne ne fonde pas la possibilité de l’émancipation humaine dans une relation dynamique transhistorique à la classe ouvrière, mais dans la différence entre valeur et richesse. Voir, Peter Osborne, “Marx’s Philosophy of Time,” op. cit., 21.<br />
</span></div><div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">(4) Geörg Lukács, Geschichte und Klassenbewusstsein, in Geörg Lukács, Werke, Früheschrif ten 2 Berlin: Herman Luchterhand Verlag GmbH, 1968, 367. L’original allemand dit „Dieses Bild einer sich ununterbrochen bewegenden gespenstischen Starrheit loest sich sogleich ins Sinnvolle auf, wenn ihre Starrheit sich in den Prozess, dessen treibende Kraft der Mensch ist, aufloest.“<br />
</span></div><div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">(5) La traduction anglaise de Lukács peut porter à confusion parce que le traducteur ne traduit pas uniformément le terme de gespenstige. Dans ce passage, il le traduit par « comme un fantôme » [phantom-like], qui est précis et correspond à la traduction du passage approprié du capital de Marx, mais nous perdons le lien avec l'utilisation postérieure de Lukács du terme.<br />
</span></div><div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">(6) Christopher Arthur, “Subject and Counter-Subject” Historical Materialism: Research in Marxist Theory, Volume 12.3, 93-102, 95-6.<br />
</span></div><div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">(7) Il y a d'autres aspects de la critique d'Arthur qui dépassent la portée de cet essai. Cependant, parce que certaines critiques d'Arthur recouvrent d'autres du volume 12.3 de la revue Historical Materialism, consacré au livre de Postone, je traite brièvement une des critiques d'Arthur dans cette note. Arthur récapitule le travail de Postone de la façon suivante :</span></div><blockquote style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">Il présente la notion du travail d'abstrait d'une manière différente de Marx, qui la présente comme substance de la valeur. En revanche, Postone argumente que, dans l’échange marchand généralisé, le travail est abstrait au sens où, alors que sa propre activité est concrète et produit un produit spécifique, il apparaît socialement comme un moyen d’acquisition de chacune et toutes les marchandises par le mécanisme de l'échange ; par conséquent sa spécificité concrète est déplacée, et elle prend une forme de généralité abstraite. C’est seulement parce que tous les travaux pris ainsi sont intégrés dans une totalité sociale spéciale que leurs produits prennent la forme de valeur.</span></blockquote><div style="color: #666666;"><span style="font-size: small;">Cet argument me frappe comme semblable à mettre le chariot avant le cheval. Dans une économie d’échange comme telle, le travail n'a certainement pas la forme de moyens d’acquisition en général, mais seulement partiellement, si on peut trouver cet interlocuteur qui a un besoin particulier de ce qu'on offre. C’est seulement dans une économie monétarisée que le travail devient moyen d'acquisition en général. L'ordre de traitement ne marche pas : travail abstrait→valeur→argent, c’est l'inverse. L'argent pose en principe toutes les marchandises comme valeurs, et leur position de valeur provoque l'identité abstraite des travaux incarnés dans toutes les marchandises. (Historical Matérialism, 12.3, 2004, 99).<br />
D'abord, nous avons vu que Postone affirme explicitement que le travail est la substance de la valeur. Mais plus spécifiquement, ici, plutôt que Postone, il semble que c’est Arthur qui met le chariot avant le cheval, puisqu'il accorde à l'argent le pouvoir de poser en principe toute marchandise comme valeur. Mais alors, pourquoi est-ce que l'argent n'a jamais rempli cette fonction dans les sociétés précédentes ? C'est précisément la question que Marx pose dans le premier chapitre du Capital, quand il discute l'incapacité d'Aristote à dériver la forme valeur. Rappelons que la raison pour laquelle Aristote ne pouvait pas dériver la forme valeur, n'était pas qu'il n'ait pas eu le concept d'argent, mais qu’il n'avait pas un concept de valeur, dans lequel toute chose pu être réduite à une substance homogène, à savoir le travail. Cette substance homogène ne peut pas être le travail concret, mais, comme Postone le précise, un type de travail abstrait, spécifique au capitalisme. Par conséquent, Arthur trompe les lecteurs en opposant le travail, en tant que sujet de valeur, et l'idée que le travail apparaît socialement comme un moyen d’acquisition de n’importe quelle marchandise. C’est précisément parce que le travail abstrait est la substance de la valeur que le travail est moyen d'acquisition des valeurs d’usage dans la société capitaliste.<br />
La critique d'Arthur est encore plus confuse lorsqu'en accusant Postone de trahir la théorie originale de Marx, il cache la manière dans laquelle sa propre théorie de l'argent sort des axes de Marx dans le Capital. Dans son récent livre, qui présente, dans l'ensemble, une lecture extrêmement utile de Marx, il critique explicitement Hegel et Marx parce que<br />
« ni l'un ni l'autre n'ont compris à quel point une économie d'argent est `particulière'» (Christopher J. Arthur, The New Dialectic and Marx’s Capital, (Leyde : Brill, 2004), 9). En bref, Arthur tente de donner à l’argent une plus grande fonction et plus de puissance que Marx ne l’en a doté dans le Capital.<br />
</span></div><span style="font-size: small;"><span style="color: #666666;">(8) Christopher J. Arthur, “Subject and Counter-Subject,” op. cit. 99.</span></span>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3698548955763858330.post-64234864893097709502011-07-08T03:10:00.000-07:002011-07-08T03:10:14.655-07:00Taupinières 0.0<div style="text-align: justify;">La vieille taupe creuse ses galeries à l’insu des apparences superficielles. Puis surgit inopinément, inexorablement. Histoire en actes, elle incarne le sens de l’œuvre des hommes. Inlassablement, elle crée ses voies, déploie ses réseaux, coupe à la racine les fleurs du mal.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div></div><div style="text-align: justify;">Le capitalisme est non seulement un système d’exploitation, mais il est celui, ayant atteint un tel degré d’accumulation, où la vie tend à s’en trouver abstraite. Période historique du crime contre l’humanité généralisé, permanent et si banal qu’il en est le<i> modus vivendi</i> quotidien. Nous entendons participer aux taupinières, et à l’occasion à cette galerie particulière qu’est la réflexion sur ces sous-sols, dans la perspective de l’abolition de l’état des choses actuel.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Le mot d’ordre de l’humilité est condamnation à la résignation à l’ordre établi. Nous prétendons à instaurer le communisme, à libérer la vie. Et en ceci, nous avons la prétention d’essayer de comprendre consciemment notre histoire. Cette prétention est indissoluble de la critique, du geste qui tend vers une compréhension pratique. A l’opposé de la tolérance aux babillages qui opinent ce qui ne peut être que tolérer par ce monde, nous sommes prétentieux et intolérants. Et conscients des difficultés à être pleinement conscients.</div><div style="text-align: justify;"><br />
</div><div style="text-align: justify;"></div><div style="text-align: justify;">Dans cet esprit pratique, nous nous lançons à l’assaut des maux, <i>ici</i> en creusant à l’aide de mots.</div><div style="text-align: right;"><br />
Des taupes<br />
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</div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgjMfQH76peZ7DaFe6lEvpUYXytRSdt7LxLUShZ9YEoY7lip1kqozxdEQkFg2mDbkhAu3ycn-4p2CSSdpuRB3hwhY0H7ajwRUuG9Nl_oiAHFzQEhyphenhyphenAdJujJNRI6mdWcAZ_mzRI_MQjJHa2f/s1600/taupe0.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgjMfQH76peZ7DaFe6lEvpUYXytRSdt7LxLUShZ9YEoY7lip1kqozxdEQkFg2mDbkhAu3ycn-4p2CSSdpuRB3hwhY0H7ajwRUuG9Nl_oiAHFzQEhyphenhyphenAdJujJNRI6mdWcAZ_mzRI_MQjJHa2f/s320/taupe0.jpg" width="480" /></a></div>Une taupehttp://www.blogger.com/profile/11441119200122519729noreply@blogger.com0